Les joueuses de l'équipe nationale canadienne de basketball en fauteuil roulant sont à la recherche de stabilité.
Autrefois une puissance sur la scène mondiale, le programme canadien de basketball en fauteuil roulant traverse une période difficile. À neuf mois des Jeux paralympiques de Paris, ni l’équipe masculine ni l’équipe féminine n’est assurée de participer à l'événement. La situation est particulièrement délicate pour les femmes, qui se trouvent en ce moment sans entraîneur à la veille d’un tournoi crucial.
Les basketteuses canadiennes devront se classer parmi les quatre premières à Osaka, au Japon, en avril, sans quoi elles devront mettre une croix sur les Jeux de Paris. De plus, l’équipe, dispersée en ce moment à travers tout le continent, doit faire face à ce défi sans direction claire. Une situation que déplore la capitaine Tara Llanes.
C’est difficile de ne pas avoir de structure, de ne pas savoir quelle direction notre équipe va prendre, quel style de jeu nous allons adopter, indique la vétérane de six années avec l’équipe nationale. On sait comment jouer ensemble, mais ça crée assurément une inquiétude, un désarroi dans l’équipe. Surtout pendant une année paralympique, alors qu’on est censé être bien rodé.
La Fédération canadienne de basketball en fauteuil roulant a pris la décision, en avril dernier, de congédier Marc Antoine Ducharme, qui était en poste depuis 2017. Une annonce qui a surpris Llanes, mais aussi l’ensemble de ses coéquipières. C’était un choc. On ne s’y attendait pas du tout
, raconte-t-elle. Ce sentiment était en effet partagé par d’autres joueuses qui ont témoigné à micro fermé à Radio-Canada Sports.
Le choc a été encore plus brutal pour Ducharme, qui n’avait pas vu venir la nouvelle.
Tout se passait bien, estime l’ancien instructeur, qui dirige toujours l’équipe québécoise. À l’été, on avait gagné face aux États-Unis en finale de la Coupe des Amériques. On venait de battre les Pays-Bas [une puissance, NDLR], dans un tournoi présenté juste avant Noël.
Selon lui, les résultats de la formation canadienne ne peuvent pas justifier un congédiement. L'équipe s'est contentée d'une 5e place aux Jeux de Tokyo, les seuls de Marc Antoine Ducharme à titre d'entraîneur-chef.
Les résultats n'étaient pas meilleurs à Rio, elles ont terminé 5es à ce moment-là aussi. À Tokyo, la pandémie nous a désavantagés. Si on avait pu s’entraîner comme les autres formations, je suis certain qu’on aurait gagné l’argent, plaide Ducharme. Et je pense que même la fédération est du même avis.
La compétition est aussi plus féroce, avec la montée en puissance d’équipes comme le Japon ou la Chine. Une simple qualification est désormais plus difficile à obtenir aussi : s'il y avait auparavant 10 équipes qui participaient au tournoi paralympique féminin, elles ne sont plus que 8.
Marc Antoine Ducharme croit que sa gestion du banc et le temps accordé à certaines joueuses ont déplu à des membres de l’équipe, qui ont trouvé une oreille attentive auprès de la haute direction. C’était des décisions basées sur des statistiques, sur des performances, sur le système de classification, et qui étaient respectées par la majorité de l’équipe
, dit-il.
Le directeur de la haute performance de la fédération canadienne, Jeff Dunbrack, n’a pas voulu commenter cette hypothèse. On sentait que l’équipe avait besoin de renouveau et c’est pourquoi nous avons procédé à ce changement
, s’est-il contenté de répondre au sujet du départ de Ducharme.
On a des joueurs qui sont partis à la retraite, on a quelques nouveaux. On se maintient pas mal au 5e rang au niveau mondial en ce moment, mentionne Jeff Dunbrack. Le niveau de jeu à l’international a vraiment augmenté. Il y a plus de ressources, plus d’investissements dans le parasport en général et on voit les résultats chez les hommes et chez les femmes.
Je ne dirais pas que le Canada a de la difficulté à rattraper la compétition. C’est simplement que c’est le niveau de compétition qui est très fort.
Marc Antoine Ducharme croit plutôt à un manque de leadership. Quand on pointe les mauvais résultats, la fédération nationale se déresponsabilise et s’en remet aux organisations provinciales, et nous dit : ‘‘On est le résultat de ce que vous faites au provincial’’. Mais il n'y a aucun soutien, aucune vision nationale.
Trois changements d’entraîneurs en neuf mois
Après le départ de Marc Antoine Ducharme, son adjointe Marni Abbott-Peter a immédiatement pris la relève. Figure marquante du programme féminin, elle a remporté l’or paralympique comme joueuse à trois reprises, entre 1992 et 2000.
Elle n'est cependant restée en poste que pour une très courte durée : cinq mois après sa nomination, elle a démissionné pour des raisons personnelles, à moins d’un an des Jeux de Paris. Son passage a été marqué par une 5e place obtenue aux mondiaux, insuffisante pour une qualification paralympique.
S’est alors enclenché un processus pour rapidement trouver un remplaçant, compte tenu du fait que l’équipe canadienne devait défendre son titre parapanaméricain, remporté en 2019 à Lima sous les ordres de Marc Antoine Ducharme.
Paul Bowes a été nommé en octobre, à quelques jours du début des Jeux parapanaméricains de Santiago, un tournoi crucial puisque le Canada avait finalement l'occasion de décrocher son billet pour Paris.
Chronologie :
- 3 avril 2023 : Marc Antoine Ducharme est congédié et est remplacé par Marni Abbott-Peter
- 19 juin 2023 : L'équipe canadienne termine au 5e rang lors des mondiaux
- 22 août 2023 : Marni Abbott-Peter démissionne de ses fonctions
- 6 octobre 2023 : Paul Bowes est embauché comme entraîneur-chef
- 24 novembre 2023 : L'équipe canadienne s'incline en finale des Jeux parapanaméricains et rate sa qualification paralympique
- 17 janvier 2024 : Paul Bowes démissionne de ses fonctions
Toutefois, en raison de la nomination tardive, les joueuses n’ont pas pu s’entraîner une seule fois avec Bowes avant de prendre l’avion pour le Chili. Ce n’est qu'une fois là-bas que les joueuses ont pu s’adapter au style de jeu préconisé par Bowes. Auparavant, elles n'avaient eu droit qu'à des séances par vidéo.
Avant le départ pour Santiago, des joueuses avaient déjà mentionné à Radio-Canada Sports que la situation n’était pas idéale. Des fois, on avait un peu l’impression d’être dans le néant
, confiait Élodie Tessier.
Les Canadiennes ont néanmoins mérité une très louable 2e place lors du tournoi, en donnant même du fil à retordre aux États-Unis malgré des circonstances peu favorables. Un tour de force en soi, selon Tara Llanes.
On devait s’adapter à un nouvel entraîneur, oui. Mais aussi, entre les mondiaux à Dubaï, en juin, et le tournoi parapanaméricain à Santiago, on a eu un seul camp de trois jours, à Ottawa. Les Américaines ont eu plusieurs camps, c’est une équipe très raffinée, et elles nous ont battues seulement par six points.
Ultimement, cette défaite imposait un nouveau détour dans l’itinéraire des Canadiennes vers Paris, avec un arrêt obligatoire à Osaka, au Japon. Et ce voyage se fera avec un nouvel entraîneur, encore une fois, puisque Paul Bowes, embauché avec un contrat à courte durée, a préféré ne pas prolonger son mandat.
Une autre brique sur la tête de la fédération.
Le directeur Jeff Dunbrack s’en remet à la résilience des joueuses pour traverser cette épreuve. Je suis d’accord que c’est difficile. Mais la fondation de notre programme, ça demeure les athlètes. Et on a la chance d’avoir en place un groupe de joueuses très talentueuses.
À quand un nouveau coach?
La fédération canadienne a enclenché son processus de recrutement et a bon espoir de nommer un nouvel instructeur avant le prochain camp d’entraînement des joueuses, prévu pour la fin de l’hiver.
Jeff Dunbrack est d’avis que les athlètes ne repartent pas de zéro chaque fois. Marni [Abbott-Peter] est encore impliquée dans notre programme [avec l’équipe de développement]. Paul a apporté de bonnes choses aussi. Ce sont d’excellents entraîneurs, mais des circonstances ont mené à leur départ.
Le directeur sportif relève aussi l’exemple du départ de Nick Nurse, qui a quitté la barre de l’équipe canadienne avant la Coupe du monde, l’été dernier. Les représentants de l’unifolié ont finalement décroché une historique 3e place face aux Américains.
Le temps presse néanmoins. Les joueuses bénéficieront de deux camps seulement, en février, à Toronto, puis en mars, à Ottawa, pour faire connaissance avec le nouvel entraîneur. Quelques jours seulement pour apprendre une nouvelle structure, c’est peu
, se désole Tara Llanes.
Ça prend du temps pour mettre en place un système et s’assurer que tout le monde y adhère. S’assurer que la culture est bonne.
Même avec du recul, et en sachant à quel point le départ de Marc André Ducharme allait créer un tel effet domino, Jeff Dunbrack croit toujours que la décision de congédier l’entraîneur en avril était la bonne. Un changement de voix était nécessaire
, dit-il.
Tara Llanes, elle, déplore surtout le moment où les changements ont été apportés. Le moment où on a pris la décision a créé un sentiment d’urgence, où on est pressé de trouver un nouvel instructeur. Ça ne crée pas un bon environnement pour trouver le bon candidat. Le bassin est plus petit, pas juste au Canada, mais dans le monde. Et à un an des Jeux paralympiques, tous les entraîneurs sont déjà engagés dans un projet.
Je ne pense pas que les changements aient été apportés dans l'intérêt des joueuses.
Jeff Dunbrack admet que l’embauche d’un entraîneur représente un réel défi. Les Paralympiques, c’est différent, si ce n’est que sur le plan du nombre, de la population. Il y a moins d’entraîneurs, mais ça ne veut pas dire que ça nuit à la qualité. Et on peut obtenir de bons candidats qui proviennent de partout, pas nécessairement du monde paralympique. On a un bon personnel avec de l’expérience dans les spécificités du parasport, avec les classifications, l’équipement, etc. Coacher, c’est coacher
, résume-t-il.
Malgré des circonstances défavorables et une année éprouvante, les joueuses gardent de très hautes ambitions.
On a tellement une bonne équipe, tellement talentueuse, c’est pour ça que je n’arrive pas à concevoir qu’on ne puisse pas avoir quelqu’un pour nous diriger
, lance Tara Llanes.
Elle indique toutefois une faille dans la formation : le manque de communication. Un défaut qui aurait pu mener à des malentendus par le passé et à un manque d’unité. Tout le monde dans l’équipe doit travailler là-dessus. On a de la difficulté à se parler l’une l’autre, à se dire les vraies affaires. On a une équipe talentueuse et expérimentée. Si on a plus de discipline et qu’on communique mieux, on sera imbattable.
Résultats de l'équipe canadienne féminine aux Jeux paralympiques :
- 1992 : Médaille d'or
- 1996 : Médaille d'or
- 2000 : Médialle d'or
- 2004 : Médaille de bronze
- 2008 : 5e place
- 2012 : 6e place
- 2016 : 5e place
- 2020 : 5e place
Résultats de l'équipe canadienne féminine aux mondiaux :
- 1998 : Médaille d'or
- 2002 : Médaille d'or
- 2006 : Médaille d'or
- 2010 : Médaille de bronze
- 2014 : Médaille d'or
- 2018 : 5e place
- 2022 : 5e place