Un article écrit par Julien Sahuquillo

Qu’est-ce que ça fait au juste un poète officiel?

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Le poste de poète officiel de l'Ontario a été instauré en 2019 à la mémoire du chanteur Gord Downie. (Archives)Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
Le poste de poète officiel de l'Ontario a été instauré en 2019 à la mémoire du chanteur Gord Downie. (Archives)

L'Ontario est à la recherche de son second poète officiel, un poste créé en 2019. Représenter la richesse littéraire de la province tout en faisant la promotion de la poésie, la mission est grande pour un mandat de deux ans. Le moment de faire aussi le bilan de l’ampleur de la tâche.

Pour le premier poète officiel de l’Ontario, Randell Adjei, l’expérience a été formidable, même s’il a parfois eu à tout inventer.

J’ai travaillé avec beaucoup de jeunes, de conseils scolaires, d’adultes. Il y a quelque chose de merveilleux à amener la poésie aux gens et les aider à trouver leur voix, explique celui qui se dit ravi d’avoir pu aussi découvrir sa propre province.

Selon la Loi sur le poète officiel de l'Ontario, celui-ci doit entre autres : Promouvoir l’art et la littératie en Ontario; célébrer l’Ontario et sa population; rehausser la notoriété des poètes de l’Ontario; sensibiliser le public à la poésie et à la création parlée; [et] agir comme porte-parole de la littérature [...].

Le poète officiel ou la poète officielle a deux mandats. C’est à la fois de représenter la poésie auprès de la population et de représenter la population auprès du monde de la poésie, explique Chloé LaDuchesse, qui a été poète officielle de Sudbury, de 2018 à 2020.

Moi, par exemple, à Sudbury, j’ai organisé des activités, des ateliers de création, des micros ouverts, même j’ai pris part à l’organisation de spectacles. J'avais une émission de radio.

Vera Constantineau, elle, a été poète officielle de Sudbury pendant la pandémie. Si l’absence de rencontre en personne a pu manquer, ça ne l’a pas empêché de remplir sa mission.

J’ai installé la suite Zoom [un logiciel de vidéoconférence, NDLR] et je me suis mise à faire des rencontres avec des gens au pays et ma communauté. J’ai créé un balado qui a attiré du monde de partout au pays, raconte-t-elle.

M. Adjei regrette lui aussi d’avoir commencé son mandat en pleine pandémie.

C’était difficile parce que beaucoup de ce que j’ai fait était virtuel. Je n’ai pas forcément pu aller à l'Assemblée législative ou voyager au début. Présenter de la poésie en personne est bien différent que de le faire en ligne, insiste-t-il.

Donner le goût de la poésie

Une part des ateliers donnés par les poètes officiels s’inscrit dans une logique de passeur de savoir et, peut-être, celle d'étincelle pour allumer un feu créatif.

La poésie est un genre littéraire extrêmement naturel. Les enfants sont tous des poètes. Les gens ont souvent peur de la poésie, mais en fait c’est un genre très facile d’approche quant à moi. Quand on pense au haïku, c’est trois lignes. Tout le monde a le temps pour écrire trois lignes dans une journée, explique Mme LaDuchesse.

M. Adjei se félicite d’avoir pu rejoindre plus de 20 000 jeunes dans sa mission de deux ans.

Je me souviens d’un jeune qui m’a dit : "Je ne savais pas qu’écrire sur mes sentiments pouvait faire tant de bien. J’ai toujours aimé la poésie, mais je ne savais pas que je pouvais en faire", raconte-t-il.

Je crois qu’en représentant la poésie dans l’espace public, en lui donnant un visage, ça va donner une proximité avec la poésie et une envie de la découvrir comme lecteur ou comme future poète.

Chloé LaDuchesse, poète et autrice

Pour Mme Constantineau, c’est avant tout cette mission de médiatrice culturelle qui compte.

Il y a beaucoup de gens qui disent ne pas aimer la poésie. Mais c’est parce qu’ils n’ont pas rencontré la bonne poésie [pour eux]. Vous ne diriez pas que vous n’aimez pas la musique parce que vous n’aimez pas le country ou l’opéra. Si les gens créent quelque chose et qu'ils ont l’impression que ça marche, ils vont avoir le sentiment qu’ils réussissent. C’était mon but.

Une position officielle pas toujours facile à gérer

M. Adjei reconnaît que s’il s’est toujours senti soutenu, être artistique dans un monde politique est parfois un défi.

À l’Assemblée, ils ne connaissaient pas vraiment le monde artistique. Ils connaissent l’administratif.

S’ajoute à cela l’obligation de maintenir un rôle non partisan.

Il y a beaucoup de choses sur lesquelles je ne peux pas me prononcer. Ça a été difficile, surtout ces derniers temps avec tout ce qu’il se passe dans le monde, reconnaît-il.

Les politiciens devraient s’en rappeler, ce n’est pas un poste pour le gouvernement. Ça ne devrait pas être un mandat de représenter la parole du gouvernement, mais plutôt de représenter les réalités des populations, insiste de son côté Mme LaDuchesse.

Et la francophonie dans tout ça?

Pour Mme LaDuchesse, le lien entre la francophonie ontarienne et la poésie est évident.

La littérature franco-ontarienne est un peu née de la poésie. Les premiers livres qui ont été publiés en Ontario, c’était de la poésie, affirme-t-elle.

J’ai été dans des festivals où on était juste des poètes officiels du Canada et j’étais la seule francophone. Il y a toujours quelqu’un qui vient me voir dans la salle et qui me dit : "Moi je parle français, mais je n’ai jamais l’occasion d’en entendre", indique l’autrice.

Les provinces et territoires avec un(e) poète officiel(le) :

  • Colombie-Britannique
  • Alberta
  • Saskatchewan
  • Manitoba
  • Ontario
  • Québec
  • Nouveau-Brunswick
  • Île-du-Prince-Édouard
  • Nouvelle-Écosse
  • Terre-Neuve-et-Labrador
  • Yukon

Elle ajoute qu’elle n’espère pas forcément que le futur poète officiel soit francophone ou bilingue, mais prône pour une certaine diversité.

Un vœu qui fait écho à celui de M. Adjei.

J’ai apprécié représenter une frange de la population qui n’est pas souvent représentée dans ce type de poste, explique-t-il, tout en espérant que cela continue.

Un mandat exigeant

Reste que pour un mandat de deux ans, les attentes sont grandes pour des moyens somme toute modestes.

Le poste de poète officiel de l’Ontario propose une indemnité de 20 000 $ par an plus les frais de voyage. Mais l’expérience, à en croire le principal intéressé, vaut le coup.

M. Adjei invite le prochain récipiendaire à saisir l’opportunité d’en apprendre plus sur l’Ontario, sur ses résidents.

Prends le temps d’écouter les gens. L’Ontario est si grand, va dans les endroits où [les gens] n’ont pas accès à des programmes. Reste toi-même.

Randell Adjei, premier poète officiel de l'Ontario

La province accepte encore les candidatures jusqu’à lundi. Le nouveau poète officiel doit être annoncé en avril.