La province a créé un vide juridique et a mis six semaines pour s'en rendre compte.
La Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a décidé d’examiner rapidement la requête du gouvernement provincial, qui a par erreur créé un vide juridique de six semaines et plongé dans l’incertitude une panoplie de décisions rendues pour la protection des enfants.
Du 13 décembre au 25 janvier, aucune disposition législative sur la protection de l’enfance ou sur l’adoption d’enfants n’a été en vigueur au Nouveau-Brunswick.
Le gouvernement a donc proclamé plus tôt que prévu la Loi sur le bien-être des enfants et des jeunes. On venait de s’apercevoir qu’en abrogeant, en décembre, certaines sections de la Loi sur les services à la famille, on avait créé par erreur un vide juridique qui a persisté 43 jours.
Cela met en doute la validité des décisions concernant la protection de l’enfance qui ont été rendues par des juges au cours de cette période.
Les tribunaux ne savent pas [...] où s'enligner avec cette information-là et quoi faire avec les décisions et les ordonnances rendues
, a mentionné jeudi en entrevue Prisca Levesque, avocate à Dalhousie.
Qu'est-ce qu'on fait avec les ordonnances qui ont été rendues alors qu'il n'y avait peut-être plus de loi en vigueur du tout? Et qu'est-ce qu'on fait avec les cas qui étaient débutés et non terminés?
s’interroge Me Levesque.
La province reconnaît des problèmes
Aucun enfant ni jeune n’a été touché de façon négative par cette erreur
, avait affirmé vendredi dernier dans un communiqué le ministre de la Justice de la province, Ted Flemming.
Quatre jours plus tard, le gouvernement tient un autre discours.
Depuis la proclamation de la Loi sur le bien-être des enfants et des jeunes, le 26 janvier, des questions ont été soulevées en ce qui concerne le statut juridique de certaines mesures prises en vertu de la Loi sur les services à la famille entre le 13 décembre 2023 et le 26 janvier 2024
, a déclaré Ted Flemming dans un communiqué mardi.
Les décisons rendues pour les enfants sont-elles valides?
Le gouvernement provincial vient donc de s’adresser aux tribunaux. On demande à la cour de déterminer si les dispositions sur la protection de l’enfance prévues dans la Loi sur les services à la famille sont restées en vigueur pendant ces 43 jours.
Si un juge tranche que ce n’est pas le cas, on veut savoir si la cour a la compétence requise pour remédier à ce vide juridique. Autrement dit, il faut déterminer si elle avait l’autorité de prendre elle-même les décisions pour la protection des enfants.
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Jane Thomson, qui enseigne le droit de la famille à la faculté de droit de l’Université du Nouveau-Brunswick (UNB), a bon espoir que la réponse à cette dernière question sera positive.
Le gouvernement demande à la cour d’invoquer la compétence parens patriæ, un principe en common law qui permet aux cours supérieures d’agir à la place d’un père ou d’une mère afin d’assurer la protection de l’enfant
lorsque la nomination d’un représentant juridique indépendant pour l’enfant n’est pas prévue dans la loi.
Habituellement, parens patriæ est utilisé lorsqu’il y a un vide dans la loi, soit, en d’autres mots, lorsque les lois n’offrent pas une réponse adéquate si un enfant, par exemple, est en danger
, résume Jane Thomson.
Elle affirme que les circonstances qui ont existé pendant 43 jours représentent un cas très clair
en vertu duquel ce pouvoir peut être utilisé par la cour. Cela permettrait donc de maintenir les décisions rendues pour les jeunes durant ces quelques semaines.
Dans les documents soumis à la cour, le gouvernement indique que 80 nouveaux dossiers de protection de l’enfance impliquant 127 enfants ont été ouverts pendant ces 43 jours.
Pendant cette période, la responsabilité du bien-être de 18 enfants a été confiée à l’État, des ordres de placement ont été donnés pour 11 autres enfants, sept jeunes ont été confiés à des membres de leur famille et deux nouvelles familles d’accueil ont été créées.
Urgence d'agir
Lors de la première audience tenue jeudi, le juge en chef du Nouveau-Brunswick, Marc Richard, a reconnu l'urgence d'agir.
La cour entendra la cause le 9 février si personne ne souhaite intervenir ou le 12 février dans le cas contraire, a décidé le magistrat.
Le gouvernement provincial n’a pas expliqué pourquoi cette erreur est survenue. Elle a échappé à au moins deux ministères et à un comité parlementaire qui a étudié le projet de loi.
Dans d’autres documents présentés à la cour mardi, on peut apprendre que c’est Elena Bosi, l’assistante du procureur général adjoint, qui s’est aperçue avec un collègue de l’erreur de la province en révisant des projets de loi adoptés l’automne dernier.
Nous avons immédiatement compris ce que cela signifiait et quel effet dévastateur cela pouvait avoir
, a écrit Elena Bosi.
Avec les renseignements de Jacques Poitras (CBC) et de Serge Bouchard