Un article écrit par Jean-Philippe Nadeau

Un jury du coroner propose une approche communautaire en santé mentale dans la police

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Sammy Yatim a été tué par la police de Toronto en 2013 au moment où il était en crise dans un tramway de la métropole.Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
Sammy Yatim a été tué par la police de Toronto en 2013 au moment où il était en crise dans un tramway de la métropole.

L'usage de la force contre des citoyens en détresse sur la voie publique était au centre des plaidoiries à Toronto.

Le jury à l'enquête du coroner sur la mort de Sammy Yatim recommande à la province de s'assurer que les membres des corps policiers de l'Ontario sont tous bien formés en santé mentale pour éviter de recourir à la force mortelle, lorsqu'ils font face à des citoyens en détresse psychologique. L'adolescent de 18 ans a été tué par un policier après avoir brandi un couteau dans un tramway de Toronto en 2013.

Les recommandations des jurés ressemblent essentiellement aux 53 propositions conjointes que les 11 parties engagées dans cette enquête leur avaient suggérées, mardi, avant qu'ils entament leurs délibérations. En outre, le jury en a formulé 10 de son cru.

Les cinq jurés ont de plus dégagé sans surprise un verdict d'homicide, puisque le jeune Sammy a succombé à des blessures qui n'étaient pas accidentelles.

Approche étoffée en santé mentale

Le jury recommande aux commissions des services de police de l'Ontario d'institutionnaliser l'engagement communautaire dans les domaines de la santé mentale grâce à la création d'un comité consultatif sur la santé mentale sur le modèle de celui de la Commission des services de police de Toronto.

Cette approche serait communautaire en ce sens qu'elle solliciterait des organisations et des professionnels du milieu de la santé mentale et de la toxicomanie, y compris des personnes qui vivent avec des problèmes mentaux.

Ces comités devraient refléter adéquatement la diversité de la communauté et aborder l'intersectionnalité des préjugés, inconscients ou non, de la santé mentale et de la toxicomanie.

Un comité semblable a déjà été créé en 2019 à Toronto. Il a pour objectif d'examiner, de conseiller et de faire des recommandations à la Commission sur une base annuelle au sujet de la stratégie de la police de la ville en ce qui concerne la santé mentale.

Les policiers devraient en outre recevoir une formation de premiers soins en santé mentale pour parer à toute éventualité sur le terrain.

L'enquête du coroner avait démontré que l'agent James Forcillo n'avait aucun entraînement du genre lorsqu'il a fait face à Sammy Yatim.

Programme d'intervention des pairs

Le jury suggère ensuite que les services de police rendent obligatoire un programme d'intervention des pairs ou le créent là où il n'existe pas.

Il s'agit d'une formation qui permet à un policier d'intervenir auprès d'un collègue qui tient en joue un citoyen en détresse pour le dissuader de tirer.

Ce programme doit rassurer les policiers qu'ils n'encourent aucune mesure disciplinaire de leur employeur pour avoir agi de la sorte.

L'enquête avait permis de comprendre que personne n'était intervenu auprès de James Forcillo pour le dissuader d'ouvrir le feu sur Sammy Yatim.

Le jury invite le ministère du Solliciteur général à donner une directive pour protéger les lanceurs d'alertes dans les corps de police de l'Ontario.

Tout policier qui en dénoncerait un autre pour usage inapproprié de la force ou qui signalerait toute inconduite à ses supérieurs serait ainsi protégé contre toutes représailles.

Surveillance des policiers sur le terrain

Le jury recommande que le service de déontologie des corps policiers s'assure qu'une autre personne qu'un enquêteur interne soit disponible pour examiner la conduite d'un agent qui a utilisé la force sur la voie publique.

En Ontario, le fait de dégainer son arme en public, même sans tirer, est considéré comme un usage de la force.

L'enquête avait démontré que James Forcillo avait dégainé son arme à cinq reprises en l'espace de huit mois, un an avant la mort de l'adolescent.

M. Forcillo avait dit dans son témoignage que personne n'avait fait de suivi lorsqu'une enquête interne avait été ouverte au sujet de son comportement.

Le jury suggère par ailleurs de fournir des caméras d'intervention aux agents de première ligne. Les enregistrements seraient systématiquement visionnés lorsqu'un agent fait l'objet d'une plainte interne ou externe au sujet de l'usage de la force.

Il propose en outre de revoir les pratiques et normes professionnelles des services de police pour voir s'il y a lieu de surveiller périodiquement le risque que poserait un policier sur la voie publique.

Le jury recommande de revoir le rôle de ses psychologues dans les corps policiers pour qu'ils puissent participer davantage au programme d'intervention précoce auprès d'un agent qui fait l'objet d'une enquête pour usage de la force.

Il invite aussi les services de police à resserrer les critères d'embauche, à identifier les faiblesses et les risques que les recrues pourraient représenter lors de leur période probatoire, et à y remédier.

À l'inverse, les agents qui démontrent d'excellentes aptitudes à faire preuve d'empathie et à garder leur sang-froid devraient jouer le rôle de mentors.

Formation pratique et pédagogique

Le jury suggère la création d'un centre national d'excellence en formation policière, avec la participation du milieu universitaire, pour étoffer l'enseignement et l'entraînement des policiers du pays.

Il propose en outre au Collège de police de l'Ontario de prolonger l'actuelle formation de 12 semaines et de revoir son programme pédagogique de façon périodique pour le mettre à jour.

Le jury recommande d'incorporer, dans la formation des policiers, des mises en situation qui s'inspirent de la réalité parallèlement à leur entraînement sur la désescalade de la violence, en y incluant l'intervention auprès des pairs et les mesures contre les biais inconscients.

L'enquête avait démontré qu'un scénario semblable à celui qui s'est déroulé dans le tramway la nuit du 26 juillet 2013 n'est toujours pas enseigné dans les académies de police ou au sein du Service de police de Toronto.

Soutien aux familles d'une victime

Le jury propose à la province de créer un programme de services financiers et psychologiques, ou d'y faciliter l'accès, à l'intention des familles des personnes qui sont tuées ou blessées par un policier dans l'exercice de ses fonctions.

L'enquête avait révélé que la famille Yatim avait été laissée pour compte et que la province ne l'avait pas aidée en 10 ans à surmonter son traumatisme.

Dans un communiqué, Asha James, l'avocate de Sahar Bahadi, la mère de Sammy, a déclaré jeudi soir que la mort du jeune homme avait eu un impact énorme sur sa mère, sa sœur et son père.

Le jury suggère enfin que les corps policiers de la province envisagent d'adopter une approche concernant des excuses, des regrets et la reconnaissance de la perte d'un être cher après une intervention critique entre un agent et un citoyen, en tenant compte toutefois des considérations juridiques qu'une telle démarche implique.