En plus des centaines de kilomètres qu'ils doivent parcourir et des barrières culturelles qu'ils peuvent rencontrer dans le Sud, les Autochtones des communautés isolées du nord de la province qui viennent se faire soigner dans les hôpitaux de Montréal sont confrontés à un autre défi : l’engorgement des urgences.
Plusieurs dénoncent des situations difficiles pour leurs proches, notamment la famille de Matthew Mukash, l'ancien grand chef du Grand Conseil des Cris du Québec qui a dû passer quatre jours aux urgences de la métropole.
Jade Mukash n’aurait jamais pensé vivre une expérience aussi éprouvante
lorsqu’elle a décidé d’accompagner son grand-père de Whapmagoostui, une petite communauté crie isolée du Nord québécois, jusqu’à l’Hôpital général de Montréal.
Je suis restée auprès de lui pendant les quatre jours qu’il a dû passer dans un couloir de l'urgence de l’hôpital parce qu’il n’y avait pas de chambre disponible. Ce qu’il a vécu est inacceptable.
Les événements décrits se sont produits le dimanche 7 janvier. L'ancien grand chef du Grand Conseil des Cris du Québec, âgé de 72 ans, devait y passer un certain nombre d’examens de santé. Mais la situation critique cet hiver dans les urgences a plutôt révélé la précarité des soins, raconte sa petite-fille.
Nous ne demandions pas un traitement particulier pour lui en tant qu'ancien grand chef et aîné dans sa communauté. Mais par son expérience, nous voulons qu’aucun Autochtone ne vive ce qu’il a dû subir.
Elle précise que son grand-père souffrait et qu’il était malade. Il a finalement été envoyé le jeudi 11 janvier dans une chambre d’hôtel du centre-ville pour attendre son retour à l’hôpital.
Le voir subir tout cela m’a bouleversée
, souffle-t-elle. Tous les patients ont droit à un minimum de soins et de compassion. Il n’a rien eu de cela. Il n’a jamais eu le temps de se reposer, car il se trouvait dans un endroit très passant et personne n’a pris son état de santé en considération.
Mon grand-père est un homme humble et patient qui n’aime pas se plaindre. C’est pourquoi j’ai décidé avec ma famille de prendre la parole pour dénoncer une expérience que personne ne devrait vivre dans un endroit où l’on est censé s’occuper de vous.
Outre les conditions d’accueil qu’elle juge déficientes
, Jade Mukash reproche d’avoir été séparée un temps de son grand-père. Il y a eu du mouvement dans le couloir et les employés de la sécurité m’ont dit de partir alors que j’étais assise proche de mon grand-père pour m’occuper de lui. Je ne voulais pas l’abandonner, car je savais que s’il se passait quelque chose de grave, il n’aurait pas pu prévenir une infirmière à temps.
Des réactions à la chaîne
Le bureau du ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuits, Ian Lafrenière, a réagi lundi dans une déclaration dans laquelle il se dit préoccupé par la situation
de l’ex-chef Matthew Mukash, précisant ne pas être au fait de tous les détails pour juger de la situation.
Pour le ministre Lafrenière, les établissements de santé doivent s’assurer d’adapter leurs services afin qu’ils soient culturellement sécurisants pour les patients issus des Premiers Peuples. La présence d’un proche, par exemple, fait partie d’une telle approche.
Le système de santé québécois est affecté par une crise de longue durée et l’année 2024 ne fait pas exception avec plusieurs salles d’urgence qui débordent, certaines atteignant 200 % de leur capacité.
Dans un courriel envoyé à Espaces autochtones, la conseillère en relations médias du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), Annie-Claire Fournier, a admis que tous les établissements du réseau traversent des moments difficiles en ce qui a trait aux urgences, et le CUSM – qui administre aussi l'Hôpital général de Montréal – ne fait pas exception.
Nous reconnaissons que cette situation regrettable a un impact sur nos patients et leurs familles
, écrit-elle en pointant du doigt diverses problématiques, comme la pénurie de main-d’œuvre.
En ce qui concerne la disponibilité des lits, Mme Fournier souligne que l’engorgement aux urgences s’explique, entre autres, par un nombre record de patients qui occupent les lits en attendant d'être transférés
ailleurs dans le réseau.
Depuis plusieurs mois déjà, nous travaillons d'arrache-pied sur des dizaines de projets afin d’améliorer la coordination et la trajectoire de patients dans nos urgences, de diminuer la durée moyenne de séjour et d’offrir d’autres options que l’urgence pour traiter les patients moins gravement malades
, assure la porte-parole du CUSM.
Pour les patients autochtones en provenance du Nord, un agent de liaison peut être disponible au besoin pour apporter du soutien, répondre aux questions et faciliter les échanges entre le personnel soignant et le patient.
De son côté, Pakesso Mukash, le fils de l’ancien grand chef, déplore le traitement vécu par son père, mais aussi celui des Autochtones des communautés isolées du Québec.
Ils sont envoyés par avion à Montréal parce que leur santé nécessite une prise en charge urgente et lorsqu’ils arrivent en ville, ils font face à l’enfer
, lâche-t-il lors d'un entretien. Ils sont obligés de rester sur place et deviennent les victimes d’un système qui ne fonctionne pas.
Il indique aussi que la plupart des hôpitaux de Montréal connaissent une dégradation des services. Il y a beaucoup de violence, les employés sont fatigués et les urgences sont surpeuplées, mais ce n’est pas normal de traiter des patients sans comprendre leur bagage culturel. Les membres des Premières Nations, que ce soit mon père ou n’importe qui d’autre, n’ont pas à endurer l’injustice à un moment où ils ont besoin de réconfort.