Un article écrit par Daphnée Hacker-B.

Cannabis comestible : les nouveaux produits salés de la SQDC touchent-ils la cible?

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Quelle est la différence entre les produits de gauche et ceux de droite? Les aliments de gauche contiennent du THC, le principal composé psychoactif du cannabis responsable de l’effet d’euphorie.Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
Quelle est la différence entre les produits de gauche et ceux de droite? Les aliments de gauche contiennent du THC, le principal composé psychoactif du cannabis responsable de l’effet d’euphorie.

Nouilles ramen, saucissons, arachides : voilà quelques-uns des produits comestibles apparus récemment sur les tablettes de la Société québécoise du cannabis (SQDC). Cette offre fait sourciller des observateurs qui la jugent inadéquate pour rivaliser avec le marché noir.

À la fin de 2023, la SQDC a commercialisé plusieurs aliments salés infusés au cannabis. Ceux-ci se distinguent des toutes premières bouchées comestibles offertes par la société d’État en 2022, qui étaient à base de pâtes de fruits et d’épices. Par la suite, des croustilles de betteraves ainsi que des choux-fleurs déshydratés et des figues séchées ont fait leur apparition sur les tablettes.

Les consommateurs et consommatrices de marijuana du Québec ont dorénavant accès à une vingtaine de produits de type prêt-à-manger.

Je ne pense pas que c’est avec ces produits-là qu’on va augmenter de façon importante notre captation du marché illicite de comestibles.

Serge Brochu, professeur émérite à l'École de criminologie de l'Université de Montréal

Serge Brochu, qui est aussi chercheur à l'Institut universitaire sur les dépendances, rappelle que le Québec est la seule province qui interdit la vente de friandises, de confiseries, de desserts, de chocolats ou de tout autre aliment infusé au cannabis susceptible d’être attrayant pour les jeunes de moins de 21 ans.

Selon lui, ces restrictions expliquent pourquoi on trouve sur les tablettes de la SQDC des produits salés et peu conventionnels.

Je me questionne sur le choix des nouilles ramen, souligne-t-il. C’est un plat qui est très consommé par les adolescents.

M. Brochu admet que la SQDC a un mandat complexe : elle doit convaincre les adeptes du cannabis de délaisser le marché illicite sans faire aucune forme de promotion, pour éviter d’attirer une nouvelle clientèle. C’est un mandat d’équilibriste qui n’a rien de simple, résume-t-il.

Les formes de consommation privilégiées par les Québécois

  • Par inhalation : 81 %
  • Dans un produit alimentaire : 31 %
  • Sous forme de gouttes orales : 28 %
  • Par vapotage : 26 %
  • Sous forme de liquide : 13 %
  • Sous forme de pilule : 12 %

Note : Chaque usager peut consommer du cannabis de plus d'une façon.
Source : Enquête québécoise sur le cannabis 2023 de l'Institut de la statistique du Québec

Une sélection qui se veut rigoureuse

Parmi les 17 % de Québécois et de Québécoises qui ont consommé du cannabis en 2023, le tiers en ont pris sous forme d’aliments. À l’échelle canadienne, les comestibles sont au deuxième rang des produits de cannabis les plus prisés, et leur popularité est grandissante depuis la légalisation en 2018.

Bien au fait de ces données, la SQDC a décidé de vendre des produits comestibles, malgré le cadre réglementaire restreignant adopté par le gouvernement Legault.

On se doit d'être créatifs avec l'industrie pour pouvoir jouer à travers notre cadre, explique Geneviève Giroux, vice-présidente approvisionnement et mise en marché de l’offre à la Société québécoise de cannabis. Cette dernière a formé un comité interne qui a établi une série de critères pour sélectionner les produits comestibles soumis par les fournisseurs. Le comité évalue notamment si la forme, le goût ou la texture du produit sont attrayants pour un jeune public.

Le comité retient surtout des produits ayant un goût prononcé, tels que les bouchées de fruits contenant de l’abricot et du reishi (un champignon) ou encore les arachides à la saveur d’aneth, note Mme Giroux. Elle confirme que son équipe va poursuivre la diversification des produits comestibles, qui ne représentent pour l’instant que 1 % des ventes de la SQDC.

Principaux critères de sélection de produits comestibles

  • Forme

  • Couleur

  • Texture

  • Ingrédients

  • Goût

  • Nom

  • Prix

  • Attrait pour les moins de 21 ans

  • Origine du producteur

  • Présence du produit sur le marché illégal

L’entreprise québécoise Gayonica est un des seuls fournisseurs de la SQDC qui offrent des produits comestibles sucrés. Parmi eux, on retrouve des bouchées à saveur de bleuet et lavande ou encore de pomme et matcha.

Alexandre Poulin, cofondateur de Gayonica, explique qu’il a dû soumettre de nombreuses recettes avant d’obtenir l’aval de la SQDC. Plusieurs ingrédients sont interdits, tels que certains édulcorants, le cacao, le sucre et le sirop d’érable, signale-t-il. C'est possible d'être compétitif par rapport aux autres offres légales, oui. Mais par rapport au marché illicite, c'est difficile.

Contacté par courriel, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec a indiqué ne pas avoir l’intention de revoir l’interdiction des comestibles sucrés. Cette mesure vise notamment à réduire les risques d’intoxication involontaire et les risques de santé associés aux produits à concentration élevée en tétrahydrocannabinol (THC), a indiqué sa porte-parole, Marie-Pierre Blier.

Risque d'attirer des néophytes plutôt que de contrer le marché noir

Le THC, principal composé psychoactif du cannabis, est responsable de l’effet d’euphorie. La quantité maximale de THC permise dans les produits comestibles est de 10 mg. Ce dosage est déterminé par le gouvernement fédéral. Santé Canada dit avoir établi cette limite pour éviter les risques de surconsommation.

Toutefois, le gouvernement fédéral a mandaté un comité d’experts pour effectuer une consultation élargie concernant la Loi sur le cannabis. Plusieurs représentants de l’industrie ont fait valoir, notamment dans une pétition déposée en novembre dernier, qu’une augmentation du dosage de THC dans les produits comestibles était nécessaire pour faire concurrence au marché noir.

Le comité doit déposer son rapport final, qui contiendra une série de recommandations, devant le Parlement d’ici mars prochain.

Selon François-Olivier Hébert, associé de recherche à l’axe neurosciences du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), le dosage limité à 10 mg de THC ne convient pas à tous les besoins de consommation, tant sur les plans récréatif que médical.

Pour des gens qui sont très habitués à consommer le cannabis par voie orale, généralement les doses sont beaucoup plus élevées que 5 à 10 mg, souligne celui qui est aussi membre du Laboratoire vivant sur le cannabis.

François-Olivier Hébert constate que le marché noir demeure attrayant puisqu’il offre toute une variété de produits avec de très hautes concentrations de THC à des prix semblables ou même inférieurs à ceux des comestibles légaux. Il rappelle que les produits clandestins peuvent être dangereux, tant à cause de leurs dosages inexacts que des risques de contamination croisée avec d’autres substances.

M. Hébert estime que l’offre alimentaire de la SQDC n'atteint pas son objectif d’attirer les adeptes de cannabis comestible. Avec les produits de type grignotines, la société d’État risque plutôt d’attirer de nouveaux consommateurs et consommatrices, d'après lui.

Ça peut être invitant pour des gens qui sont plus néophytes, qui veulent commencer peut-être à apprivoiser une consommation de cannabis avec quelque chose qui est plus proche de ce qu'ils connaissent.

François-Olivier Hébert, associé de recherche à l’axe neurosciences du Centre hospitalier de l’Université de Montréal

Ce biologiste spécialisé dans les effets neurocognitifs du cannabis est d’avis qu’il faut offrir à la clientèle des produits comestibles dont la qualité et les méthodes de fabrication sont supervisées par l’État. Il faudra tôt ou tard que Québec autorise les produits sucrés, pense-t-il.

Les individus qui sont habitués à consommer le cannabis par voie orale veulent principalement des produits sous forme de friandise ou de dessert. S’ils ne l’ont pas sur le marché légal, ils continueront de s’approvisionner sur le marché non réglementé, prévient François-Olivier Hébert.