Un article écrit par Réal Fradette

La seule clinique privée au N.-B. à pratiquer des avortements chirurgicaux ferme

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La Clinique 554 de Fredericton, seule clinique privée du Nouveau-Brunswick à pratiquer des avortements chirurgicaux, ferme ses portes à compter de jeudi.

Trente-six ans après la décriminalisation de l’avortement au pays, la clinique n’a plus les moyens de pratiquer d’interruption chirurgicale de grossesse, a fait savoir son directeur médical, le Dr Adrian Eoin Edgar, dans un point de presse à l’entrée de l’Assemblée législative à Fredericton, mercredi.

Le Nouveau-Brunswick est la seule province qui exige que l’avortement soit pratiqué dans un établissement hospitalier pour être financé par le gouvernement. Un obstacle qui serait inconstitutionnel, selon le directeur médical de la clinique.

Le Dr Adrian Eoin Edgar explique qu'en l'absence de financement provincial, l'établissement dépendait principalement des dons pour fonctionner. Le doublement du loyer de la clinique a précipité sa fermeture, selon lui. Une partie des avortements pratiqués l'étaient gratuitement pour les patientes les plus démunies.

Les femmes qui souhaitent se faire avorter au Nouveau-Brunswick n’ont plus que trois endroits où aller – les deux hôpitaux de Moncton et celui de Bathurst, dans le nord de la province – et doivent désormais obligatoirement passer par le système public de santé.

Les femmes de la région de Fredericton et de tout l'ouest de la province n'ont ainsi plus accès aux avortements chirurgicaux, à moins de se rendre jusqu'à Moncton, à près de deux heures de route. Certaines doivent se tourner vers l'avortement médicamenteux.

L’accès à l’avortement chirurgical dans le secteur privé prend donc fin 30 ans après l’ouverture de la clinique du Dr Henry Morgentaler à Fredericton.

La clinique privée du Dr Morgentaler avait fermé ses portes en 2014, en raison d'un manque de financement. Elle a été rouverte en 2015, par le Dr Adrian Eoin Edgar, et renommée Clinique 554. En plus des interruptions de grossesse, l’établissement fournit des soins aux personnes transgenres, entre autres.

La situation financière précaire de la clinique privée a mené à des menaces de fermeture en 2019 et en 2020. Depuis cette date, la clinique n'était plus ouverte qu'une journée par semaine.

Le ministre fédéral de la Santé, Mark Holland, a réagi à la fermeture de la Clinique 554, qu'il ne juge pas du tout acceptable.

Il est essentiel que ce service soit disponible. C’est un droit fondamental au pays. Cette fermeture n’est pas acceptable, pas du tout. Ça menace la santé des femmes, a-t-il commenté d’Ottawa, en indiquant qu’il allait en discuter avec le ministre provincial de la Santé, Bruce Fitch.

Il assure que le gouvernement fédéral va prendre un moment pour évaluer la situation. Selon lui, la rétention des transferts en santé vers la province est une des options sur la table pour faire comprendre son mécontentement. En 2023, Ottawa avait déjà déduit 1,3 million $, notamment parce que le Nouveau-Brunswick refuse de couvrir les avortements réalisés à la Clinique 554.

De son côté, le ministère provincial de la Santé explique que le Mifegymiso, utilisé pour les avortements médicamenteux, a réduit la demande d'avortements chirurgicaux au Nouveau-Brunswick. La pilule représente les deux tiers des avortements réalisés dans la province.

Le ministère dit s'engager pleinement à respecter les principes de la Loi canadienne sur la santé.

C’est comme si tout le travail que nous avons fait tombait à l’eau

Sophie Lavoie, du groupe Justice reproductive du Nouveau-Brunswick, a eu du mal à retenir ses larmes. Elle s’est dite dévastée par la fermeture de la clinique.

Son groupe a été formé quand la clinique du Dr Morgentaler a fermé ses portes en 2014. Depuis, il a aidé la Clinique 554 à demeurer ouverte grâce à des campagnes de sociofinancement.

C’est comme si tout le travail que nous avons fait tombait à l’eau, a-t-elle commenté, tout en gardant l'espoir de voir un jour cette clinique rouvrir ses portes.

En pleine année électorale, Sophie Lavoie souhaite que les gens se souviennent de l’inaction du gouvernement Higgs pour maintenir ouverte la Clinique 554.

Andrée-Anne LeBlanc, directrice générale du Regroupement féministe du Nouveau-Brunswick, rappelle que le droit à l’avortement est inscrit dans la Constitution canadienne.

Nous sommes dans une province où la majorité des gens vivent dans des régions rurales et ont parfois à se déplacer pendant plus de trois heures pour avoir un point d’accès. Deux endroits à Moncton et un à Bathurst, on le dit depuis longtemps, ce n’est pas suffisant pour avoir accès à un soin médical qui est un droit constitutionnel, a-t-elle commenté.

Kim Dubé, professeure en sociologie à l’Université de Moncton, s’est dite attristée, mais pas surprise par la décision de la Clinique 554 de fermer ses portes. Elle estime que cela va grandement compliquer les choses pour les femmes qui cherchent une interruption de grossesse dans la province.

Le Nouveau-Brunswick est 30 à 40 ans en arrière par rapport au reste du Canada. Cette fermeture va créer plusieurs difficultés chez les femmes du Nouveau-Brunswick parce que l’accessibilité à ce service est un gros problème. C’est déjà difficile d’avoir accès aux trois hôpitaux qui offrent l’avortement chirurgical, pense-t-elle, en précisant que cet enjeu risque de polariser la province au moment des prochaines élections.

Horizon doit prendre le relais, selon les verts

Le chef du Parti vert du Nouveau-Brunswick, David Coon, demande au Réseau de santé Horizon, la régie qui gère la portion anglophone en santé, de mettre en œuvre immédiatement une nouvelle clinique dans la région de la capitale provinciale.

Sans la Clinique 554, il n’y aura plus de service d’avortement à proximité pour la région de Fredericton et l’ouest de la province. L’avortement est déjà difficile d’accès avec seulement deux hôpitaux à Moncton et un à Bathurst, a-t-il mentionné, en ajoutant qu’un gouvernement vert rétablirait le service dans toutes les régions de la province.

Avec des informations de Frédéric Cammarano et de Louis-Philippe Leblanc