Le Collège des médecins du Québec (CMQ) et la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) ne sont pas très enthousiastes à l'idée d'implanter rapidement le consentement présumé au don d'organes.
Les parlementaires analysent présentement la possibilité de mettre en place un système où les personnes décédées n'auraient plus à consentir au don d'organes. Ce serait plutôt à celles qui refusent d'avoir une preuve appuyant leur décision.
Selon les intervenants du CMQ et de la FMSQ, le consentement présumé ne serait pas garant d'une bonification du don d'organes au Québec.
Comme d'autres experts, ils estiment qu'il faut une multitude de solutions, notamment sensibiliser et informer le public sur le don d'organes, afin qu'il adhère au consentement présumé. Sinon, cela pourrait briser la confiance des citoyens envers le processus de don, ont averti mercredi plusieurs médecins en commission parlementaire.
Pour le Collège, le consentement présumé n'est pas central à l'augmentation du nombre de dons d'organe et de tissus
, a déclaré le Dr Mauril Gaudreault, président du CMQ.
Il a spécifié qu'un plus grand bassin de donneurs ne se traduit pas nécessairement
par une hausse du nombre de dons.
Et même si le consentement présumé entraînait une augmentation du nombre de donneurs potentiels, cela ne signifierait pas pour autant que le nombre d'organes disponibles et transplantés augmenterait. Et il y a là un risque de prélever plus d'organes qu'on peut en greffer : le risque de gaspiller les organes. On n'a pas ce luxe-là.
La FMSQ était du même avis. Notre point de vue est que de changer le modèle de consentement n'est pas une stratégie probante. [...] La proposition de migrer vers un système de consentement implicite ou présumé, bien qu'elle puisse sembler attrayante, s'avère en réalité plus complexe et potentiellement problématique
, a affirmé le Dr Vincent Oliva, président de la FMSQ.
Il a déclaré que la pénurie de personnel, les difficultés d'accès au bloc opératoire et le manque de lits pour les patients sont des défis qui ont des contrecoups majeurs sur tout l'écosystème du don
.
Le Dr Oliva a relaté qu'un ophtalmologiste lui avait dit qu'il reçoit beaucoup de dons de cornées, mais qu'il n'était pas capable de les greffer en raison d'un manque de capacité et d'infrastructures.
Des donneurs, il y en a. [...] Le goulot d'étranglement, c'est vraiment de faire les transplantations des organes qui nous sont présentés.
Tensions chez les professionnels
Le président du CMQ a indiqué que l'organisation du réseau rend incertaine la disponibilité de lits de soins intensifs et de salles d'opération au moment du prélèvement ou de la transplantation des organes ou des tissus issus d'un don
.
Cela crée des tensions au sein des équipes médicales, a-t-il dit. Les médecins sont en compétition pour les lits aux soins intensifs afin d'y maintenir en vie quelques jours un patient qui est donneur et identifié, ou tout autre patient victime d'un traumatisme dont la vie est en danger.
Le Dr Gaudreault croit qu'il faut régler en amont les problèmes d'accès aux lits et aux salles d'opération avant de changer le système de consentement. Pour nous, ce n'est pas suffisant; à notre avis, ça ne marchera pas. Les risques qu'on échoue sont plus grands si on y va seulement avec le consentement présumé. Ce n'est pas qu'on n'est pas d'accord avec cela, c'est que ce n'est pas suffisant
, nuance-t-il.
Il a proposé qu'un protocole de priorité des cas de donneurs soit élaboré et qu'on établisse des lignes directrices pour encadrer l'accès au bloc opératoire.
Pour sa part, Me Catherine Claveau, bâtonnière du Québec, affirme que la population québécoise doit d'abord bien comprendre le processus de don d'organes et les changements au système de consentement, le cas échéant.
Si on change la loi pour créer une présomption, ça prend vraiment une campagne d'information et de sensibilisation.
Selon elle, le Barreau du Québec souhaite travailler avec les élus pour voir comment améliorer la situation. Advenant l'implantation du consentement présumé, la famille aurait le dernier mot sur le don d'organes, peu importe si la personne décédée a signé sa carte d'assurance maladie. C'est d'ailleurs déjà le cas présentement.
Pour cette raison, Transplant Québec souligne l'importance de parler de ses volontés avec ses proches. Au cours des dernières années, la discussion au Québec était surtout axée sur la signature de la carte de donneur. Mais il faut aller une coche plus loin
, a déclaré la directrice générale de Transplant Québec, Martine Bouchard.
Elle rappelle l'importance de discuter avec sa famille et ses partenaires de ses volontés et de dire qu'on souhaite qu'elles soient respectées advenant un décès.
Registre unique
La création d'une seule plateforme pour consentir au don d'organes ou pour le refuser est demandée par les différents experts entendus à la commission parlementaire visant à étudier les moyens facilitant le don d'organes ou de tissus.
Actuellement, il existe trois façons de faire connaître ses intentions concernant le don d'organes au Québec : au moyen de la carte d'assurance maladie, de la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ) et de la Chambre des notaires.
La totalité des experts entendus mardi et mercredi ont fait valoir qu'il était nécessaire que le gouvernement mette en place un seul guichet, accessible 24 heures sur 24, et qu'il soit convivial.
Cela faciliterait la tâche de signifier son consentement ou son refus pour la population, mais aussi pour les professionnels de la santé qui doivent valider le statut de la personne décédée.
Dans d'autres territoires, il existe des registres qui sont en ligne, qui sont accessibles, qui ne demandent pas qu'on reçoive un papier. C'est assez simple.
Il a fait savoir qu'aux États-Unis, les gens peuvent consentir au don d'organes à partir de leur cellulaire grâce à l'organisation à but non lucratif Donnate Life. Il estime que le Québec possède les mêmes technologies qui permettraient de lancer un registre universel de ce type assez rapidement.
Me Mélanie Bourassa Forcier, professeure titulaire à l'Université de Sherbrooke, où elle dirige les programmes de droit et politiques de la santé, a proposé que les élus envisagent d'ajouter certaines options, par exemple la possibilité de donner certains organes seulement.
Me Nicholas Hébert-Gauthier, avocat chez Bélanger Sauvé, a donné l'exemple du coeur, qui est souvent un organe sensible pour certaines communautés.
Il faut penser à différentes modalités qui pourraient permettre d'accroître la confiance des individus envers le don d'organes
, a mentionné Mme Bourassa Forcier.
Selon elle, il est primordial de s'assurer que le consentement ou le refus soit connu pour chaque Québécois, mais qu'il n'y ait pas de case vide
.
Piètre performance du Québec
La directrice générale de Transplant Québec, Martine Bouchard, a indiqué que le taux de donneurs par millions d'habitants s'élevait à 16,7 au Québec, la moyenne canadienne étant de 19,3.
Si on regarde le nombre de donneurs par million d'habitants, nous sommes en queue de peloton par rapport à nos voisins [au Canada] ou même à d'autres pays. On a déjà été très performant et on ne l'est plus.
On s'est fait dépasser pour toutes sortes de raisons : le fait qu'on n'a pas de loi, le fait que d'autres territoires ont accordé à la question des ressources financières vraiment supérieures à ce que nous avons ici au Québec
, a énuméré Mme Bouchard.
Le Dr Prosanto Chaudhury a soutenu que les provinces et les pays plus efficaces ont souvent une loi qui désigne un organisme de dons et de transplantations ayant les pouvoirs nécessaires pour assumer son rôle. Qu'un organisme voué à chapeauter l'ensemble du processus du don d'organes au Québec soit désigné par le gouvernement fait partie des demandes phares de Transplant Québec.