Le ministre de la Santé du Québec a promis une refonte du système de santé et de services sociaux. Mais selon l’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ), le gouvernement mise trop sur des mesures touchant le personnel, les infrastructures, les équipements et les traitements, et pas assez sur la prévention des maladies. Entretien avec Thomas Bastien, directeur général de l’ASPQ.
1. Dans le Livre de la réduction de la maladie au Québec, vous écrivez qu’il y a suffisamment de lits et de personnel de santé au Québec et que les problèmes du réseau découlent plutôt du fait qu’il y a trop de maladies. Pourquoi devrait-on voir le problème de cette façon?
C'est vraiment une problématique d'entrants plutôt qu'une problématique de gestion. Ce n’est pas parce qu'il n'y a pas assez de personnes. En fait, c'est parce qu'on a trop de maladies dans le système actuel. C'est comme ça qu'il faut qu'on le voie.
Et ce n’est que la pointe de l'iceberg. Avec le vieillissement de la population et les changements climatiques, les inégalités, les maladies chroniques contemporaines qui sont en train d'apparaître et la problématique de santé mentale, on n'a encore rien vu. Si on n'agit pas maintenant, c'est certain qu'on va avoir des problèmes encore plus gros que ceux qu'on a vus au cours des deux ou trois dernières années.
On traite des maladies qui deviennent de plus en plus importantes, alors qu'il y a d'autres solutions qui pourraient être mises en place ou qui seraient nettement moins chères.
2. Vous écrivez dans le livre que le gouvernement fait fausse route en ne mettant pas la prévention de la maladie au cœur de sa réforme de la santé et que la survie du réseau dépend de la réduction des maladies. Pourquoi?
On a un système qui est hospitalocentrique. Et on a l'impression que plus on va créer d'hôpitaux, plus on va être capable de gérer des malades. C'est une croyance qui est complètement fausse.
On peut faire la comparaison avec les automobiles : on avait l'impression que plus on créait de voies autoroutières, plus on aurait la capacité de mettre des personnes sur la route. C'est faux. Plus on crée d'autoroutes, plus il y a de trafic. C'est exactement la même chose avec le système de santé : on a l'impression que plus on crée de services, plus on va être à même de répondre aux besoins.
Il faut se dire que plutôt que de construire de nouveaux hôpitaux, il faut armer la population avec des outils pour avoir une meilleure qualité de vie. Et ça passe par une meilleure éducation, un revenu minimum qui est adéquat, des milieux sains, une alimentation de qualité qui ne coûte pas cher.
On est à la croisée des chemins avec la création de Santé Québec et on se dit que le ministère de la Santé a la possibilité de faire autre chose que seulement de la gestion de la maladie. Il a la possibilité de se doter d'un nouveau mandat de réduction de la maladie, qui est, à notre avis, beaucoup plus durable.
3. Vous mentionnez que le rapport Clair de 2001 et celui de la Commissaire à la santé et au bien-être en 2022 évoquaient l’urgence d’agir pour prévenir la maladie afin d'améliorer le réseau de la santé. Pourquoi ces recommandations n'ont-elles pas été mises en œuvre?
Le problème en ce moment, [...] c’est qu’on ne fait pas confiance à la réduction de la maladie et à la prévention et à la promotion de la santé, alors que ça a déjà fait ses preuves par le passé et que ça continue de faire ses preuves.
Si on revient 30 ou 40 ans en arrière, on avait une partie de la population qui fumait. Si la santé publique n'était pas intervenue et n’avait pas mis en place des lois et des règlements pour diminuer la consommation de tabac, on serait incapable de gérer le système de santé aujourd'hui, avec la pression que [les maladies liées au tabagisme] amèneraient.
Il y a une multitude de solutions qui ont été abordées au cours des 20 dernières années qui portent sur la qualité de vie de la population.
Il faut prendre des décisions, comme l’interdiction des arômes dans les produits de vapotage. Mais ce n'est pas que ça. On doit se poser des questions sur l'utilisation des substances psychoactives; sur la déprescription; sur l'alimentation et les liens avec une multitude de maladies chroniques; sur le lien entre le temps d’écran et notre rythme de vie effréné et les troubles de santé mentale.
On doit envisager toutes les solutions pour réduire la maladie, mais il faut du courage politique.
Il y a d'ailleurs eu une motion à l'Assemblée nationale il y a deux ans qui disait qu'on avait besoin d'un plan d'urgence en matière de prévention et de promotion de la santé. On l'attend toujours.
4. Avant même d’établir un plan de réduction de la maladie, il faut bien comprendre les enjeux. Le gouvernement a mis en ligne un tableau de bord avec de nombreux indicateurs sur le réseau de la santé. Devrait-on en avoir un sur l’état de santé des Québécois?
Le tableau de bord du ministre Dubé est utile pour analyser la gestion du système, mais il doit aussi se doter d'un tableau de bord de la maladie. Il faut qu'on ait des données chiffrées sur la maladie au Québec et qu'on se dote d'un plan de réduction de la maladie.
Quelles sont les maladies les plus préoccupantes? Combien de personnes sont dans le système de santé à cause de ces maladies? Comment peut-on les réduire? Quels sont les indicateurs nécessaires pour les réduire?
Il faut avoir un ministre de la Santé qui est capable de nous dire combien on a de malades actuellement et de nous donner un plan pour réduire les maladies au Québec dans une vision à court, à moyen et à long terme.
Beaucoup de pays, dont le Danemark, la France, la Belgique, ont ce type de plan. Pas le Québec.
5. Vous dénoncez aussi le sous-financement chronique de la santé publique. « On ne lui a pas donné les moyens de sauver le réseau de soins », peut-on lire dans le rapport. Combien d’argent devrait-on investir?
La santé publique n'est pas forcément d'intérêt politique au Québec. On l'a vu pendant la pandémie. Le Dr [Horacio] Arruda [ex-directeur de la santé publique du Québec], le public l’a connu seulement pendant la pandémie alors que ça faisait des années qu'il était en poste. [La santé publique], ce n’est qu’un enjeu au moment où on a des coupes à faire; et c'est la prévention et la promotion de la santé qui est coupée en premier.
La santé publique représente un peu plus de 2 % du budget du ministère de la Santé. Comment se fait-il qu'on essaie de régler [toutes les maladies] avec des bouts de chandelle? Ça ne fonctionne pas.
Il faut qu'on redonne une force financière au système de santé publique pour aller de l'avant.
Je dirais que la voie la plus salutaire, c'est de regarder ce que le ministère de la Santé fait déjà en matière de prévention et de promotion de la santé, et de multiplier le financement par 10, voire par 100.
Selon l’Institut canadien d’information sur la santé, au Québec, de 2004 à 2019, le gouvernement a réservé en moyenne 2,2 % du budget de la santé à la santé publique, alors que la moyenne canadienne est de 5,4 %. En 2021, c’était 2,4 %, contre 6 % à l’échelle nationale. Le Québec investit en moyenne 190 $ par habitant, tandis que la moyenne canadienne est de 428 $ par citoyen.
6. Le gouvernement dit que le Québec fait face à « des défis de rigueur budgétaire ». Comment payer pour réduire le fardeau des maladies tout en maintenant le réseau de la santé?
M. Eric Girard [le ministre des Finances] nous dit que c’est l'année des choix.
Si j'étais un des ministres autour de la table et si je voyais que le ministère de la Santé continue de prendre la grande partie de l'argent, alors qu’il y a des choses qui pourraient être faites pour réduire les dépenses en santé, ça me mettrait mal à l'aise.
Il faut se poser des questions. Est-ce qu'on veut constamment alimenter un système pour accompagner les patients malades, qui sont de plus en plus nombreux? Ou est-ce qu’on veut mettre en place des démarches pour réduire cet achalandage, cette pression qui est insoutenable?
Ce qu'on dit, c'est que plutôt que de dépenser [pour seulement gérer la maladie], il faut investir dans la santé et la qualité de vie.
On est à un tournant; on n’a plus le choix, parce qu'il y a 50 % de nos dépenses qui vont dans un système de santé qui ne fonctionne pas. On sait que c'est un budget qui ne va que grandir avec l'augmentation du nombre de malades.
Il faut changer les choses. Il faut changer de paradigme. La meilleure manière d'y arriver, qui va à la fois servir au ministère de la Santé et à l'ensemble des ministères, c'est de réduire la maladie.