Un article écrit par André Bernard

Nouveaux coups de chaleur dans le Saint-Laurent

Environnement > Changements climatiques

La température de l'eau grimpe constamment dans l'estuaire du Saint-Laurent.Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
La température de l'eau grimpe constamment dans l'estuaire du Saint-Laurent.

L’année 2023 a été marquée par des vagues de chaleur dans les eaux de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent. Des écarts de température rarement atteints en automne, une eau qui peine à se refroidir et un englacement faible.

Nous sommes à la fin d'octobre, à Mont-Joli, au bord du fleuve Saint-Laurent. Le temps est gris et frais. Le vent est léger. Il fait 3 °C. Un temps normal pour la saison.

Dans l’eau, c’est tout le contraire. La température y est presque quatre fois supérieure. Elle atteint 11 °C, ce qu’on n’avait pas vu depuis des années, à la veille de novembre.

Ce sont des températures qu'on devrait retrouver au pic de l'été. C’est 5 °C au-dessus de ce que ça devrait être. Au lieu d'être à 6 ° (fin octobre), on se retrouve à 11 °C. Ce sont des gros chiffres, souligne Peter Galbraith, chercheur en océanographie physique à l’Institut Maurice-Lamontagne, à Mont-Joli.

Peter Galbraith et ses collègues du Québec et des provinces de l’Atlantique recueillent et colligent depuis presque 30 ans des données sur le cycle de températures des eaux du golfe et de l’estuaire du Saint-Laurent.

Des données précieuses qui prennent ensuite la route de l’Institut Maurice-Lamontagne, à Mont-Joli, pour y être rassemblées et analysées.

Il y a quelques jours, Peter Galbraith a présenté le bilan des observations de l’année 2023. Ce qui frappe, ce sont les vagues de chaleur successives dans les eaux du golfe et de l’estuaire.

En juin, de ce côté-ci de l’Atlantique, les eaux étaient froides, alors qu’elles étaient anormalement chaudes en Europe.

Mais tout a basculé en juillet. L’air chaud et caniculaire, dans l’est du Canada, a réchauffé les eaux de surface à la vitesse de l’éclair. Les anomalies de température chaude (en rouge) couvraient tout le golfe et l’estuaire – l’anomalie de température décrit l’écart de température par rapport à celles des 30 dernières années.

Après une légère dissipation de la chaleur en août, le golfe et l’estuaire du Saint-Laurent se sont réchauffés comme jamais en septembre. Une nouvelle vague de chaleur marine inattendue a frappé la côte et ses eaux.

Tout le mois de septembre, dans l'estuaire et le nord-ouest du golfe, on a eu les températures les plus chaudes de toutes les données satellites depuis 42 ans, donc en moyenne 5 °C plus chaudes, rappelle Peter Galbraith.

Une anomalie de 5 °C correspond à une valeur si élevée que l'échelle manquait de couleurs pour traduire l’intensité du réchauffement.

Notre palette de couleurs devient rouge foncé à partir de 2,5 °C plus chaud que la climatologie. On était bien au-dessus à différents endroits. Il aurait fallu doubler notre palette de couleurs pour être capables de commencer à distinguer à quel point c'était chaud.

Peter Galbraith, chercheur en océanographie physique à l’Institut Maurice-Lamontagne

À l’échelle du globe, la température des eaux de surface dans les océans, comme la température de l’air, a atteint des records en 2023.

Le graphique suivant montre à quel point la température à la surface de l’eau (hormis les régions polaires) s’est maintenue à des niveaux hors de ce qui avait été enregistré dans les années passées. Le phénomène climatique El Niño pourrait avoir joué un rôle, mais la tendance générale au réchauffement est bien établie.

Température à la surface de l'eau à l'échelle planétaire

Dans les eaux profondes du golfe, à environ 300 mètres sous la surface, la température s’est maintenue à 6,9 °C. C’est au-dessus des températures enregistrées il y a une centaine d’années, alors qu'elles se situaient autour de 3,5 °C.

Des courants changeants

Le phénomène est attribuable à des changements dans le trajet des courants océaniques. Le Saint-Laurent reçoit une plus grande part des eaux chaudes du Gulf Stream qu’auparavant.

En fait, les couches d’eau qui s’y superposent se réchauffent toutes avec le temps.

En 2023, la couche intermédiaire froide, qui se crée à partir de la glace de l’hiver précédent, était parmi les quatre plus chaudes observées depuis une douzaine d’années.

D’ailleurs, les températures relativement douces de l’hiver actuel ont permis aux eaux de surface du golfe et de l’estuaire de conserver une partie de leur chaleur et de se maintenir au-dessus du point de congélation de l’eau salée – autour de -1,8 °C. Si bien que la glace était presque absente du Saint-Laurent, encore jeudi, journée des données les plus récentes.

Ça change vite, prévient Peter Galbraith. On a déjà observé des changements importants quant à la présence de la glace, en quelques années d’échantillonnage.

Ce n'est pas un changement climatique à venir pour le golfe du Saint-Laurent, c'est un changement climatique que l'on ressent maintenant.

Peter Galbraith, chercheur en océanographie physique à l’Institut Maurice-Lamontagne

À partir de la grève, on perçoit difficilement ces changements de température dans les eaux du Saint-Laurent.

Pourtant, ils sont en voie de perturber une grande partie de l’écosystème du golfe et de l’estuaire parce que les espèces qui y vivent sont souvent beaucoup plus sensibles que nous au moindre écart de température de l’eau.

Un reportage d'André Bernard et de Yanick Rose sur la hausse des températures dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent sera présenté à l'émission Découverte diffusée dimanche à 18 h 30 sur ICI TÉLÉ et à 22 h sur ICI Explora, et samedi à 19 h 30 sur ICI RDI.