Chimiothérapie, radiothérapie… le parcours vers la rémission est souvent douloureux pour les personnes atteintes d’un cancer. Et si on parvenait à alléger leurs souffrances sans augmenter leur médication?
Améliorer l’efficacité des traitements, diminuer leurs effets secondaires, prévoir comment le patient réagira : voilà ce que deux experts québécois espèrent accomplir avec l’aide de l’intelligence artificielle.
Parmi les cancers les plus invalidants, on compte ceux de la région oto-rhino-laryngologique (ORL), c’est-à-dire les tumeurs du nez, de la gorge, de l'oreille, de la tête et du cou, à l’exception du cerveau. Une zone névralgique qui permet de parler, de manger et de respirer. Alors, quand le cancer attaque ces régions, c’est très invalidant.
La Dre Houda Bahig, oncologue au Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM), connaît bien les dommages causés par les cancers ORL.
Les traitements sont durs, dit-elle. Les effets secondaires sont si intenses qu’un patient sur trois aura besoin d’un tube naso-gastrique pour être alimenté.
À lui seul, le premier traitement de radiothérapie s'échelonne sur sept semaines. La dose de radiothérapie émise est basée sur des études populationnelles. On est donc loin des besoins propres à chaque patient. C’est pour cette raison que, parfois, la dose est insuffisante ou trop importante. La situation n’est pas idéale.
Pour changer les choses, la Dre Bahig s’est adjoint Samuel Kadoury, un ingénieur spécialisé en intelligence artificielle. L’imagerie médicale n’a plus de secrets pour lui.
On cherche à anticiper les complications liées à la radiothérapie, à évaluer les probabilités d'hospitalisation, d'insertion de tube nasogastrique ou de nécrose pendant la thérapie.
De telles prédictions auraient d’incroyables retombées pour le médecin traitant et son patient.
La première retombée positive, c'est d'être capable de prédire tôt les effets secondaires pour intervenir rapidement, souligne la Dre Bahig. Cela permettrait d’offrir un traitement moins intense et plus tolérable.
Prédire ces effets tôt permettrait d’ajuster les traitements en temps réel, tout au long du processus. Pour parvenir à cette prouesse, il faut créer un algorithme – le cerveau de l’intelligence artificielle. Cette tâche incombe à Samuel Kadoury.
Dans son domaine, les données sont la matière première. L’ingénieur a donc eu accès aux dossiers d’un millier de patients, des malades traités au CHUM au cours des cinq à dix dernières années.
Il a jonglé avec des centaines de dossiers, mais aussi avec l’imagerie médicale. On parle notamment de tomodensitométrie – le fameux CT-Scan dont les médecins se servent pour cibler la zone à traiter, les structures à préserver et la dose de radiothérapie à émettre.
L’ingénieur a aussi travaillé avec une source visuelle plutôt inhabituelle. La Dre Houda Bahig explique : Quand le patient reçoit son traitement, il est couché sur le dos. On prend ensuite des images avec la tomodensitométrie volumique à faisceau conique. Essentiellement, ce sont des images à trois dimensions de piètre qualité. Elles servent de référence. Prises à chaque visite, elles servent à placer le corps du patient comme au premier jour de son traitement.
Grâce à l’intelligence artificielle, Samuel Kadoury est parvenu à faire parler ces images de piètre qualité et très peu exploitées. En combinant cette découverte aux autres données médicales, il a pu prévoir l’effet des traitements de radiothérapie. Au grand plaisir de la Dre Bahig.
Pour l'instant, c'est très, très encourageant. On est capable de prédire tôt quel patient aura besoin d'un tube nasogastrique, quel patient aura besoin d'être hospitalisé et même quel patient aura besoin de recevoir des opiacés.
La précision de leur outil d’IA est légèrement supérieure à ce que concluent les études construites à partir d'immenses cohortes de patients.
On a quand même eu des taux de précision au-dessus de 75 % uniquement à partir de données, d’examens d'imagerie et d’informations disponibles dans le dossier du patient
, affirme, non sans fierté, Samuel Kadoury.
Nouvelle étape
Leur modèle a été testé sur 1100 personnes. C’est encore trop peu pour confirmer son efficacité. Il faudra donc plus de patients et ceux-ci devront représenter différents groupes.
Par exemple, pour les gens des régions éloignées, les personnes des Premières Nations, on n'a pas beaucoup d'information, d'images qui sont en lien avec ce groupe, mentionne Samuel Kadoury. Donc, idéalement, [on aura] une représentation vraiment globale de la population qui permettra d'avoir des systèmes entraînés sans avoir de biais.
Dans quelques mois, leur algorithme franchira une nouvelle étape. On va le tester non pas avec d’anciens patients, mais avec des malades en traitement.
On va pouvoir évaluer les images, faire des prédictions, essayer d'intervenir et de voir si effectivement cet outil peut nous aider à réduire les effets secondaires et à améliorer la qualité de vie des patients
, explique l’oncologue.
On aura deux cohortes de patients, enchaîne Samuel Kadoury. Le premier groupe aura une prise en charge normale et le deuxième sera suivi avec notre outil d'intelligence artificielle. On va ensuite comparer les deux cohortes pour voir si l'utilisation de l'IA a eu des effets bénéfiques.
Avec les patients qui craignent que l’intelligence artificielle remplace l’oncologue, la Dre Bahig se veut rassurante : Il faudra toujours que quelqu'un s'assure que l'algorithme a bien fait son travail. "Est-ce que ça a du sens?" On aura toujours besoin d'avoir un œil expert.
Selon elle, l’intelligence artificielle donnera même plus de pouvoir à ses patients. Par exemple, si l’IA prédit qu’une personne court 50 % de risques d’être hospitalisée à la suite de complications, que fera-t-on? Cette décision doit se prendre à deux.
Si on est capable de dire à un patient avec plus de précision "voici les risques". Il pourra prendre une décision en adéquation avec ce qu'il souhaite, avec ses valeurs
, affirme la Dre Bahig.
Un reportage de Danny Lemieux et de Sylvain Caron sur le recours à l'intelligence artificielle pour prédire les effets des traitements contre le cancer sera présenté à l'émission Découverte diffusée dimanche à 18 h 30 sur ICI Télé et à 22 h sur ICI Explora, et samedi à 19 h 30 sur ICI RDI.