Richard McLean n’aura pas vécu assez longtemps pour connaître le dénouement de son combat contre le gouvernement. Retraite Québec a-t-il le droit de pénaliser financièrement des personnes invalides pour ne pas avoir travaillé? Récit d’une lutte épique.
Une pénalité touchant les personnes invalides sème la grogne au Québec et de plus en plus de voix s’élèvent pour la contester. Un véritable mouvement est né : Les Invalides au front. Depuis 1997, l’État pénalise les personnes invalides dès l’âge de 65 ans en amputant leur rente de retraite puisqu'elles n’ont pas travaillé entre 60 et 65 ans.
L’une des personnes à l’origine de ce mouvement est Richard McLean qui, malgré une santé précaire, a décidé en 2020 de s’attaquer au gouvernement et à la pénalité. M. McLean était camionneur, mais à 51 ans, il a été victime d’un AVC. Il ne sera plus jamais le même. Cloué à son fauteuil roulant, il ne peut plus travailler et touche donc une rente d’invalidité de Retraite Québec.
À son 65e anniversaire, il reçoit une lettre qui bouleverse sa vie. On l’informe que sa rente de retraite sera réduite puisqu’il a touché une rente d’invalidité entre 60 et 65 ans.
En effet, la loi prévoit que toute personne ayant touché une rente d’invalidité durant ces cinq années se voie imposer une pénalité sur sa rente de retraite qui pouvait alors atteindre jusqu’à 36 %. En fait, Retraite Québec inflige aux personnes qui sont dans la situation de M. McLean la même pénalité que celle imposée à ceux qui choisissent volontairement de prendre une retraite anticipée à 60 ans. M. McLean voit donc sa rente mensuelle passer de 1160 $ à 680 $.
Sa conjointe, Danielle Drolet, est estomaquée que l’État traite ainsi son conjoint et tous ceux qui sont dans la même situation.
T'as pas travaillé parce que tu ne pouvais pas travailler. C'est pas parce que tu voulais pas! Tu pouvais pas.
Dans les années qui suivent, la précarité financière le gruge, alors qu’il voit sa santé physique et mentale décliner. Il se disait : comment on va faire pour arriver?
se souvient sa conjointe. Parfois, il refusait même des soins afin d’économiser.
On a le droit de vivre nous autres aussi
Homme discret, de peu de mots et affaibli, Richard McLean accepte alors de raconter son histoire à La facture dans l’espoir de faire changer les choses.
Moi, j'espère pour tout le monde qui [a] perdu sa rente d'handicapé que le gouvernement va la remettre. On a le droit de vivre nous autres aussi.
Il fait par la suite la rencontre de Me Sophie Mongeon, ce qui marque le début d’un mouvement de contestation. L’avocate conteste la pénalité imposée à M. McLean devant le Tribunal administratif du Québec (TAQ) et joint sa cause à celle de quatre autres requérants qui la contestent aussi.
Il devient également le porte-étendard d’une action collective réclamant que la mesure soit déclarée contraire à la Charte et que les personnes pénalisées soient remboursées.
Mourir en se sentant un fardeau financier
Le 10 mars 2022, épuisé de vivre avec d’importantes douleurs, Richard McLean a reçu l’aide médicale à mourir. Dans ses derniers moments, il s’est excusé à ses proches d’avoir été un poids financier et de ne pas avoir pu leur laisser un héritage.
Deux jours avant son décès, il a au moins pu savourer une petite victoire. Il a appris lors de l’émission La facture que la pénalité passait de 36 % à 24 %.
On était tous là, à la maison
, se souvient son fils Kevin McLean. Puis il a dit : si on n'a pas le retrait de la pénalité, ça sera toujours ça de gagné. Il était un peu fier de ça, de se dire : ah ben, j'aurai fait un changement.
Un combat en héritage
Danielle Drolet veut continuer le combat de son conjoint, mais seule, elle n’en a pas la force. Tu sais, tu te bats contre le gouvernement. Voyons donc! Tu sais, il y a une forteresse et tu arrives là toute seule avec ton petit couteau!
C’est à ce moment que Kevin se sent investi d’une mission et comprend qu’il a hérité non pas d’une somme d’argent, mais du combat de son père.
Pour ce mécanicien de la Société de transport de Montréal, il est temps d’honorer sa mémoire et d’épauler sa belle-mère qui doit maintenant témoigner devant le TAQ au nom de son conjoint décédé. Je lui ai dit : je vais aller en cour avec toi, je vais t'accompagner. Ça allait être très prenant. Elle avait peur. C'est impressionnant d'aller en cour [devant] deux juges qui nous disent que c'est historique. J'ai dit : stresse pas, tu vas juste raconter ton histoire.
Puis, grâce aux démarches de Kevin, ils obtiennent un nouvel appui, celui de son syndicat, la puissante CSN. Je leur ai expliqué ça. Ils ont fait : attends un peu, de quoi tu nous parles? Ça n'a pas de bon sens! Nous, on va t'appuyer dans ça
, raconte fièrement M. McLean.
Il s’implique aussi dans le mouvement Les Invalides au front, une page Facebook réunissant plus de 2000 membres lancée par Me Sophie Mongeon. Il organise aussi une manifestation en mai 2023, appuyée par la CSN.
La plus belle victoire de toute ma carrière!
La victoire sourit enfin à Kevin et à sa belle-mère ainsi qu’aux quatre autres requérants. Le 28 juillet 2023, après des mois d’attente, le TAQ conclut que la pénalité est discriminatoire et contrevient à la Charte canadienne. Les deux juges déclarent inapplicables les articles de la Loi sur le régime de rentes du Québec concernant la pénalité, car ils portent atteinte au droit à l’égalité fondée sur des déficiences mentales ou physiques.
Déjà en 2017, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse avait conclu que la pénalité contrevenait à la Charte québécoise.
Pour Me Mongeon, cette décision qui fera jurisprudence est historique.
En toute honnêteté, c'est la plus belle victoire de toute ma carrière. Parce que cette décision-là va avoir un impact pas sur une personne, deux personnes, cinq personnes, mais sur possiblement 70 000 personnes.
Le gouvernement porte la décision en appel
Or, la victoire est de courte durée. Le gouvernement porte la décision en appel devant la Cour supérieure. Une décision que condamne l’ensemble des partis d’opposition. Fort de cet appui, Kevin McLean invite le gouvernement à revenir sur sa décision. Il est encore temps de reculer. Vous avez le pouvoir de le faire.
Je pense que la première des choses qu'il faut faire dans une vie, c'est assumer ce qu'on a fait, c'est-à-dire assumer les bons coups – il me semble en avoir fait pas mal –, mais aussi assumer les mauvais coups.
J'ai passé tout droit, je m'en veux
Même Louise Harel, qui a mis en place la pénalité à l'époque, appuie le mouvement et estime que le gouvernement doit reculer et l’abolir.
Selon elle, le contexte économique actuel n’a rien à voir avec celui de 1997 quand elle était ministre responsable de la Régie des rentes, alors qu’on craignait même pour la survie financière du régime.
C'est impensable! Là, on est dans les surplus. Il n'y a pas de raison que le gouvernement ne cherche pas une solution rapidement
, souligne-t-elle. Le Rapport annuel de gestion 2022 indique d’ailleurs que la réserve globale du Régime de rentes du Québec est de 106 milliards de dollars.
Même malgré le contexte économique difficile, elle avoue qu’elle n’aurait pas dû instaurer la pénalité. Elle affirme avoir tenu pour acquis ce que lui disait la Régie, soit que les revenus allaient être quasi les mêmes ou l'équivalent, ce qui n'est pas le cas du tout
, admet-elle maintenant. C'est comme si j'avais toujours pensé que c'était la pension de vieillesse et le supplément de revenu garanti qui allaient venir compenser.
J'ai passé tout droit, je m'en veux. C'est pour ça que je les appuie aussi souvent qu'il est possible.
Elle espère maintenant qu’un dialogue pourra s'installer entre le gouvernement et les parties, car selon elle, la solution ne passe pas par les tribunaux.
Les personnes ne peuvent pas attendre encore une autre décennie, après que tous les renvois devant les tribunaux auront eu lieu, pour finalement avoir un revenu décent
, se désole-t-elle.
C'est de la discrimination systémique. Faut que ça se règle de manière collective, systémique, et non pas un cas à la fois devant un tribunal
, martèle l’ex-ministre.
Prêt à négocier et à laisser tomber la rétroactivité
Me Sophie Mongeon se dit prête à négocier avec le gouvernement et même à laisser tomber la rétroactivité, c’est-à-dire le remboursement rétroactif des montants perçus depuis l’application de la pénalité en 1997.
On a déjà un plan, une proposition à leur faire qui est très juste, qui est honorable, qui est honnêtement une belle solution pour tout le monde. La rétroactivité, c'est ce qui est le moins important pour nous. L'important, actuellement, c'est de s'assurer que les générations futures ne seront plus pénalisées et que ça cesse immédiatement.
Elle souhaite obtenir rapidement une rencontre avec le ministre des Finances Eric Girard. Les parties ont rendez-vous en cour le 8 mars afin de fixer une date d’audience.
Ni Retraite Québec ni le ministre des Finances n’ont accepté de nous accorder une entrevue en raison de la judiciarisation du dossier.
Le reportage de la journaliste Katherine Tremblay et de la réalisatrice Stéphanie Allaire est diffusé le mardi 16 janvier à 19 h 30 à l'émission La facture sur ICI TÉLÉ.