Regrouper les services incendie et mieux former les pompiers. Ces deux recommandations font partie des six qui ont été énoncées par le coroner Cyrille Delâge à la suite de l’enquête publique sur l’incendie qui a coûté la vie à 32 aînés en janvier 2014 à la résidence du Havre de L’Isle-Verte. Dix ans plus tard, elles ont été suivies… en partie.
À l’époque, le coroner Delâge avait âprement critiqué le travail des pompiers. Personnel mal formé et mal coordonné, délai d’intervention trop grand, demande tardive de renforts : une série de facteurs avait contribué à la gravité du drame, selon son rapport d'enquête.
Sa première recommandation pour éviter de telles tragédies : regrouper les services incendie pour uniformiser les méthodes d'intervention et réduire les délais. Il faut mettre de côté les susceptibilités de chacun et l'esprit de clocher qui n'a plus sa place
, avait-il insisté.
En l'espace de 10 ans, bon nombre de municipalités ont suivi ce conseil, dont L'Isle-Verte, qui a regroupé son service avec celui de la Ville de Rivière-du-Loup.
Dans l'ensemble de la province, le nombre de services incendie est passé de plus de 700 en 2014 à 622 aujourd'hui.
On avance
, affirme le président de la Fédération québécoise des municipalités (FQM), Jacques Demers. Alors que certaines administrations municipales ont déjà concrétisé des regroupements de leurs services incendie, d’autres commencent à les envisager et y voient les potentiels avantages, estime-t-il.
Si t’as une seule personne pour diriger […] c'est plus facile pour la cohérence des services. Le matériel, les choses peuvent être mis en commun
, fait valoir M. Demers.
Ce qui est intéressant, c’est que chaque municipalité absorbe une facture qui est à la hauteur de sa capacité de payer, des bâtiments à protéger
, explique pour sa part le directeur du service régional de sécurité incendie de la MRC de Rimouski-Neigette, Ian Landry.
Depuis 2020, son service chapeaute la sécurité incendie de toutes les municipalités de la MRC, hormis la Ville de Rimouski.
En mettant les ressources en commun, le service incendie de la MRC a pu se payer des équipements autrefois hors de portée des municipalités lorsqu’elles étaient séparées, comme une unité de ravitaillement en air mobile, un équipement de plus de 40 000 $ qui aide à sauver de précieuses minutes en cas d'incendie.
Quand on avait une intervention dans le haut pays, on avait nos bombonnes respiratoires, on [devait parcourir des dizaines de kilomètres jusqu'à] Saint-Fabien pour les remplir au compresseur et après on les remontait… c’était compliqué. Là, on peut amener l’unité sur place
, explique M. Landry.
Au Bas-Saint-Laurent, la région a été particulièrement marquée par le drame de L'Isle-Verte, qui s'est déroulé sur son territoire. Ainsi, à l'instar de la MRC de Rimouski-Neigette, plusieurs autres regroupements ont été faits, notamment dans la Mitis et dans le secteur de Rivière-du-Loup.
Depuis l'histoire de L'Isle-Verte, on est vraiment dans de gros changements
, estime le préfet de la MRC de La Mitis, Bruno Paradis.
La MRC de La Matapédia est une pionnière en la matière, puisque bien avant le drame, en l'an 2000, toutes les municipalités qu'elle comprend se sont regroupées au sein du même service incendie.
Moins de clauses grand-père
, plus de formations
À l'issue de l'enquête publique, le coroner Delâge avait aussi recommandé l'abolition de la clause de droits acquis – communément appelée clause grand-père
– qui permettait aux pompiers entrés en fonction avant 1998 de continuer à exercer leurs fonctions même si leur formation n’était pas à jour. Le chef du service incendie qui était en poste à L'Isle-Verte au moment de la tragédie bénéficiait de cette clause.
Malgré la recommandation du coroner, Québec ne l'a jamais abolie.
Aujourd'hui, le ministère de la Sécurité publique ignore combien de pompiers se prévalent toujours de cette disposition, mais il affirme sans surprise que leur nombre diminue à chaque année en raison des départs à la retraite
et qu’il revient aux municipalités de s’assurer que leurs effectifs détiennent les compétences requises
.
La formation des pompiers tend toutefois à s’améliorer. Des sommes spécifiques ont été octroyées par Québec pour favoriser la mise à jour des formations et l’École nationale des pompiers du Québec a, au cours des dernières années, créé quatre pôles régionaux à Rouyn-Noranda (2017), Alma (2018), Saint-Georges (2019) et Rivière-du-Loup (2020).
On assiste actuellement à une professionnalisation du métier de pompier
, estime le directeur du service incendie de la Ville de Rivière-du-Loup, Éric Bérubé. Les formations, on voit qu’elles sont bien encadrées, bien préparées, bien diffusées
, dit-il.
Maintenant, pour avoir la certification Pompier 1, il faut faire un examen. […] On reçoit une formation, un examinateur vient valider qu’on a bien les compétences et ça, ça n’existait pas.
Le regroupement des services incendie permet également d’uniformiser les formations. La MRC de Rimouski-Neigette, par exemple, a embauché un coordonnateur en formation incendie à temps complet en 2019. Ce formateur peut ainsi se déplacer sur le territoire et mieux s’adapter à l’horaire des pompiers à temps partiel.
Que tu sois pompier à Saint-Fabien, à Saint-Valérien, à Trinité-des-Monts, à Esprit-Saint ou à Saint-Anaclet, la formation est la même pour l’ensemble des intervenants sur le territoire, ce qui facilite grandement quand on se met à travailler ensemble sur des interventions.
Prévenir
Malgré tous ces changements, la prévention demeure la base : Les gens, particulièrement après de fortes tragédies, se sont aperçus à quel point il fallait faire différemment. On a souvent de très grands territoires. On a beau être bien équipés, on a beau avoir des gens très bien formés, il faut quand même qu’ils se rendent là où il y a le feu. Il n’y aura jamais rien comme la prévention pour être capable d’en éviter le plus possible
, insiste le président de la FQM, Jacques Demers.
Le recrutement de pompiers dans les plus petites municipalités demeure aussi un enjeu important.
Moins il y a de pompiers dans les municipalités, moins on va être efficaces
, explique Éric Bérubé.
Le ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, ainsi que l’Association des gestionnaires en sécurité incendie et civile du Québec ont préféré ne pas accorder d’entrevue dans le cadre de ce reportage.