Environ une résidence pour aînés sur huit n'est toujours pas munie de gicleurs au Québec, selon les données du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Elles ont jusqu'en décembre pour se conformer à la réglementation imposée par Québec après la tragédie de L'Isle-Verte, survenue il y a 10 ans.
Dans la nuit du 23 janvier 2014, 32 aînés ont perdu la vie dans l'incendie de la Résidence du Havre.
Pour éviter qu'un tel drame n'arrive à nouveau, Québec force depuis 2015 les propriétaires de résidences pour personnes âgées à munir leurs installations de gicleurs. Ces derniers ont jusqu'au 2 décembre pour s'y conformer, alors que les nouvelles constructions doivent en être munies dès leur ouverture.
Seules les ressources qui hébergent un maximum de 9 personnes sont exemptées de cette obligation.
Des centaines de résidences pour aînés de moins qu'en 2014
Selon le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), le Québec compte 500 résidences privées pour aînés (RPA) de moins qu'il y a 10 ans.
Le président-directeur général du Regroupement québécois des résidences pour aînés, Marc Fortin, affirme que ce nombre est, en réalité, plus important, s'élevant à plus de 1000, si uniquement les fermetures de RPA sont prises en compte dans le calcul et non les nouvelles ouvertures.
Il estime que le manque de personnel, l'inflation, mais aussi les coûts élevés liés à l'installation de gicleurs ont eu leur rôle à jouer dans ces fermetures.
Selon lui, la situation décourage des entrepreneurs d'investir pour ouvrir de nouvelles résidences pour aînés.
Les gicleurs ont été un fardeau extrêmement lourd pour les RPA [...]. Ce que ça a amené, c'est une série de fermetures, donc des aînés qui ont perdu leur milieu de vie.
Il y en a probablement entre 500 et 600 qui ont fermé à cause des gicleurs, puis de la réglementation sur les gicleurs. Honnêtement, de notre perspective à nous, c'est une décision politique, d'image politique, plutôt qu'une décision qui se voulait être pratico-pratique
, affirme-t-il.
Selon Marc Fortin, certaines des RPA qui doivent encore se munir de gicleurs pourraient mettre la clé sous la porte d'ici décembre.
D'après nous, d'ici l'an prochain, on va probablement avoir entre 150 et 200 de ces résidences-là qui vont abandonner et fermer
, estime M. Fortin.
Il déplore que les subventions offertes par Québec ne couvrent pas toutes les dépenses liées à l'installation de gicleurs.
[Les dépenses], ça peut varier de 50 000 à 250 000 dollars pour une petite résidence. Puis, si elle a un puits au lieu d'un système d'aqueduc, ça peut ajouter un autre 200 000 sur le coût pour mettre en place une pompe spéciale pour avoir la pression nécessaire pour sortir l'eau
, cite en exemple le pdg du Regroupement québécois des RPA.
Ces dépenses peuvent exploser dans le cas de conversion de bâtiments plus imposants en RPA. C'est le cas à la résidence du Domaine Lac-au-Saumon, aménagée dans l'impressionnant bâtiment de la maison mère de la congrégation des Servantes de Notre-Dame-Reine-du-Clergé, située à Lac-au-Saumon, dans le Bas-Saint-Laurent.
Deux entrepreneurs, Éric Thibault et Guy Degrâce, ont acheté le bâtiment l'automne dernier pour le convertir en RPA.
C'est immense. [...] Donc, on peut aller pratiquement jusqu'à 250 personnes qu'on peut héberger
, estime Éric Thibault.
Pour mettre l'ancien couvent aux normes, d'importants travaux, qui incluent l'installation de gicleurs, devront être réalisés.
On parle de 3 ou 4 millions pour les gicleurs. [...] On prévoit, à l'automne 2024, de commencer au niveau des gicleurs, pour faire le gros travail.
Des bassins devront aussi être construits pour alimenter les gicleurs, ce qui augmente encore les coûts liés à leur installation.
On n'a pas l'alimentation nécessaire au niveau de la municipalité pour pouvoir s'autosuffire s'il y a un feu. Alors, il faut mettre de gros systèmes au niveau de la pompe, une pompe à feu et des bassins
, poursuit le propriétaire.
Pour Éric Thibault, leur installation allait de soi, même si le bâtiment de l'ancien couvent, en béton, protège déjà bien ses pensionnaires du feu.
En plus des religieuses, le bâtiment accueille déjà quelques dizaines d'aînés.
Depuis que la maison mère a été bâtie ici [en 1941], notre fondatrice avait toujours ce souci de prendre soin des plus vulnérables de la société. On a eu des aînés depuis le début de la fondation, effectivement. Il y avait des ailes de réservées dans la maison
, raconte la supérieure générale de la Congrégation, sœur Odette Cormier.
Prenant de l'âge elles-mêmes, les sœurs cherchaient à vendre le bâtiment depuis une dizaine d'années. La démolition a même été envisagée. Sœur Odette Cormier se réjouit de voir que cela sera finalement évité et que la mission du bâtiment sera perpétuée.
La sécurité des aînés n'a pas de prix
De son côté, le Regroupement provincial des comités des usagers estime que le gouvernement devrait en faire davantage pour aider financièrement les propriétaires de RPA à installer des gicleurs.
Je pense que la sécurité des personnes âgées, des personnes vulnérables, ça n'a pas de prix, affirme sa directrice générale, Sylvie Tremblay. Je sais que le gouvernement allonge les délais, mais je pense qu'à un moment donné, faut une limite à ça.
Faut vraiment que toutes les résidences puissent avoir des gicleurs le plus rapidement possible, puis que le gouvernement fasse un effort. Il en fait bien pour d'autres choses.
Sylvie Tremblay salue les améliorations apportées pour augmenter la sécurité des résidences pour aînés dans les dernières années, mais déplore que celles-ci soient inégales d'une ressource d'hébergement à une autre.
Dans les milieux où les propriétaires ont moins de sous, ça se fait à géométrie variable. On trouve ça dommage pour une bonne et simple raison : toutes les personnes âgées ou toutes les personnes vulnérables devraient avoir un lieu de résidence sécuritaire
, dit-elle.
La directrice générale du Regroupement estime que si l'installation de gicleurs est impossible dans certains cas, d'autres solutions doivent être envisagées pour mieux gérer les risques liés aux incendies.
Je pense que si, par exemple, le gouvernement dit : "Bon, on comprend, vous ne pouvez pas ajouter de gicleurs", en contrepartie, [il devrait demander] d'avoir un peu plus de personnel pour la gestion de risques le jour, le soir, la nuit, les week-ends,
décrit Mme Tremblay.
Le seuil minimum de personnel devant être présent dans les RPA, entre autres la nuit, a par ailleurs été revu après la tragédie de L'Isle-Verte.
Les services de sécurité incendie ont aussi révisé leurs façons de faire, notamment en ce qui a trait à la formation des pompiers volontaires et au regroupement de plus petits services incendies, question d'assurer une meilleure synergie lorsque vient le temps d'appeler des renforts.