Une partie de la Loi sur la citoyenneté crée deux catégories de citoyens, tranche la Cour supérieure de l'Ontario.
Une surfeuse prodige, les enfants d’un ingénieur de la NASA et un bébé apatride sont parmi les « Canadiens perdus » qui ont enfin obtenu la citoyenneté canadienne.
Jusqu’à tout récemment, les personnes nées à l’étranger de parents canadiens également nés à l'extérieur du pays ne pouvaient pas obtenir la citoyenneté canadienne. Cette réalité sera toutefois bientôt chose du passé, puisque le gouvernement canadien a décidé de ne pas porter en appel une décision historique de la Cour supérieure de l’Ontario rendue en décembre.
J’étais sur Skype et mes parents ont demandé à ma fille de 3 ans comment elle se sentait d’avoir reçu sa citoyenneté canadienne. Elle leur a répondu que c’était comme un anniversaire
, raconte Timothy Setterfield.
Si l'événement est si important pour cet ingénieur de la NASA, c’est que ses deux filles font partie des Canadiens perdus
.
Le Canada leur refusait la citoyenneté canadienne depuis leur naissance, parce qu’elles sont nées à l’étranger, comme leur père, pourtant canadien.
J’ai vécu au Canada pendant 21 ans. J’y ai passé les années les plus formatrices de ma vie et je me sens Canadien. Je trouvais le fait que la plupart des Canadiens puissent transmettre leur nationalité [mais pas moi] très injuste
, explique M. Setterfield, qui fait partie des 72 finalistes choisis par l’Agence spatiale canadienne dans sa campagne de recrutement de 2017 et qui vit aux États-Unis depuis plusieurs années.
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Une loi jugée inconstitutionnelle
M. Setterfield fait partie de sept familles multigénérationnelles établies au Canada, à Dubaï, à Hong Kong, au Japon et aux États-Unis qui ont contesté, devant les tribunaux, ce qu'on appelle la règle d'exclusion de la deuxième génération du Canada.
En décembre, elles ont obtenu gain de cause devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario.
Le tribunal a statué qu'il était inconstitutionnel pour le Canada de refuser la citoyenneté automatique aux enfants nés à l'étranger de parents également nés à l’extérieur du territoire, mais qui ont un lien substantiel avec le Canada. Le jugement considère que la loi actuelle crée deux classes de citoyens, dont une qui empêche de transmettre sa citoyenneté par filiation.
Lundi, le gouvernement canadien a finalement annoncé qu’il acceptait le jugement de la Cour ontarienne. Ottawa ne portera donc pas la décision en appel.
C'est merveilleux! C'est un soulagement pour tout le monde
, lance Emma Kenyon, l'une des plaignantes. Son fils né à Hong Kong s'est retrouvé apatride à la naissance, malgré que ses deux parents canadiens nés à l'étranger aient grandi en Ontario.
Cette loi, dans sa forme actuelle, a eu des conséquences inacceptables pour les Canadiens dont les enfants sont nés à l’étranger.
Six mois pour changer la loi
Nous sommes soulagés parce que cela a été une très longue bataille pour mes clients
, lance d'emblée l’avocat constitutionnaliste Sujit Choudhry, qui représente les sept familles.
Le tribunal a donné six mois au gouvernement fédéral pour changer la loi actuelle. D’ici là, l’ancienne loi demeure en vigueur, sauf pour les sept familles représentées dans la poursuite.
Me Choudhry explique qu’Ottawa devra notamment se pencher sur la manière d’évaluer ce qui constitue un lien substantiel
avec le Canada. Le gouvernement pourrait par exemple considérer le temps passé au pays par les personnes concernées.
L'avocat dit être inondé de courriels de descendants de Canadiens nés à l’étranger désirant obtenir la nationalité canadienne, depuis que le jugement de la Cour supérieure de l’Ontario a été rendu, en décembre.
Il presse Ottawa d'agir.
On ne sait pas quels sont les plans du gouvernement. Il doit agir rapidement et mettre sur pied une campagne de communication
, dit-il.
Des destins bouleversés
Ce jugement historique aura sans aucun doute d’importantes conséquences dans la vie de beaucoup d’enfants de Canadiens nés à l’étranger.
Pour Abram Sawatsky, dont la mère est une Canadienne née à l’extérieur du pays, le jugement est soulageant. Il a quitté sa Bolivie natale en quête d’une vie meilleure pour sa famille il y a 5 ans, mais sans la citoyenneté canadienne, travailler au Canada est très compliqué.
J’essaie de contribuer à la société et de faire une différence, mais avec le recul, peut-être que nous aurions dû faire les choses autrement
, déplore le jeune père de famille.
La surfeuse américaine Erin Brooks, qui fait elle aussi partie de ces Canadiens perdus
, vient quant à elle d’obtenir la citoyenneté canadienne grâce à une dérogation accordée par le ministère fédéral de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté.
Si elle réussit à se qualifier, elle pourra donc représenter le Canada aux prochains Jeux olympiques d’été.