Québec avait pourtant ordonné à plusieurs écoles de cesser d’offrir ces formations sans permis après un reportage de La facture.
Le gouvernement du Québec a ordonné à des écoles privées pour préposés aux bénéficiaires à Montréal de cesser d’offrir ces formations sans permis du ministère, mais plusieurs semblent faire un pied de nez à la province.
La directive a été envoyée dans la foulée d’un reportage diffusé par l’émission La facture en novembre qui révélait que certaines écoles flouaient des nouveaux arrivants en leur vendant des formations accélérées, souvent de piètre qualité, assorties de diplômes non reconnus.
Ces établissements ont été sommés de cesser de dispenser tout service éducatif
, explique par courriel le cabinet du ministre de l’Éducation, Bernard Drainville. Si ces établissements poursuivent leurs activités sans avoir obtenu une autorisation [...], des accusations pénales pourront être déposées par le DPCP.
Le ministère a toutefois refusé de confirmer le nom des écoles visées en raison de procédures judiciaires en cours
. Mais le DPCP a dit n’avoir aucune information publique
à fournir sur le sujet et une demande d’accès à l’information demeure sans réponse.
La facture a donc vérifié, à l'aide de caméras cachées, si des écoles privées offraient toujours ces formations et a trouvé qu’au moins cinq écoles continuaient de le faire, toujours sans permis.
Lors de notre passage en décembre, certaines écoles poussaient l’audace plus loin que d’autres. Au Collège Essor, notre collaborateur s’est carrément fait offrir une série de diplômes faits maison
, dont un certificat sur l'administration de médicaments que l’école n’a pas le droit de décerner et un diplôme attestant faussement 750 heures de formation.
Les versions officielles de ces formations, données dans les centres de services scolaires, requièrent pourtant des mois d’études, mais au Collège Essor, elles se limitent à trois semaines de lecture et à une seule journée d'exercices pratiques, a expliqué une employée de l’école devant nos caméras. Un stage de deux semaines est ensuite offert dans une RPA.
D’autres écoles, comme le Centre Belvédère, ont pour leur part simplement changé le nom de leur formation, mais pas son contenu.
On appelle ça les cours d'assistance aux personnes âgées. C'est le même programme, le même cours, mais c’est seulement au niveau [du nom] qu’on a fait un petit changement
, a expliqué une employée.
Trois autres écoles, soit le Centre soleil des préposés aux bénéficiaires, l’Académie Horizon et Formation Bonsecours, continuaient aussi d’offrir des formations non reconnues lors de notre passage. Formation Bonsecours a même changé de nom et s’appelle désormais l’Académie Centrale.
Les lettres envoyées en novembre par Québec à différentes écoles privées les informaient qu’elles contrevenaient à la Loi sur l’enseignement privé, qui prévoit des amendes allant de 500 $ à 10 000 $. Le cabinet du ministre Drainville refuse de confirmer si ces cinq écoles font partie du lot.
Québec refuse aussi de commenter le fait qu’autant d’écoles ont continué d’offrir ces formations sans permis. Les écoles non reconnues ont pignon sur rue depuis longtemps à Montréal et étaient visiblement tolérées par la province jusqu’ici.
Le gouvernement doit fermer ces écoles au plus sacrant
, a réagi la présidente du Syndicat québécois des employés de service (SQEES), affilié à la FTQ, Sylvie Nelson. Je trouve ça pathétique que le gouvernement était au courant et qu'il ait laissé faire ça aussi longtemps
.
Le gouvernement doit appliquer ses propres lois
, s’indigne pour sa part l’avocat en immigration Ismaël Boudissa. Ce n'est pas parce qu'une personne n'a pas de statut, ou qu’elle est anxieuse [de réussir son projet d’immigration], que c'est bar ouvert pour lui vendre n'importe quoi.
Des étudiants dans le pétrin
Pendant ce temps, de nouveaux arrivants continuent de suivre ces formations. Nous avons recueilli le témoignage de quatre étudiants, qui ont peur de s’exprimer publiquement en raison de leur statut précaire au pays. Nous les appelons Jasmine, Jacob, Gloria et Gisèle.
Nous sommes tombés sur le reportage [de La facture] sur Tik Tok. J'étais anéantie. Je ne savais pas quoi faire
, explique Jasmine, qui a déboursé plus de 1000 $ chez Formation Bonsecours.
Quand j’ai vu le reportage, je me suis dit, wow! La majorité des clients sont des demandeurs d’asile et des personnes avec des visas de visiteur
, ajoute Jacob. Ce qu'ils [Formation Bonsecours] sont en train de faire, c’est malhonnête.
Gisèle, qui est demandeuse d’asile, s’apprêtait pour sa part à débourser des centaines de dollars supplémentaires pour compléter sa formation déjà entamée, cette fois à l’Académie Horizon, sans savoir que la formation n’était pas reconnue.
Pour moi, ça a été une chance de tomber sur votre reportage
, poursuit celle dont la vie serait menacée si elle devait retourner dans son pays. J’allais me serrer la ceinture et investir dans une formation pour avoir du travail, mais on nous propose un document qui n’est pas reconnu. C'est très dangereux, pour ma part.
Cette mésaventure aurait pu mettre en péril son projet de s’établir au Canada, selon elle.
Lorsque confrontée à ce sujet, l’Académie Horizon a répondu avoir cessé d’offrir des formations de préposés, mais soutient par courriel qu’elle n’a jamais floué ses étudiants, avant d’ajouter que les écoles semblables à nous ont toujours été présentes dans le réseau de la santé
.
De son côté, le Collège Essor dit avoir suspendu la formation de préposé aux bénéficiaires
et affirme avoir soumis une demande auprès du ministère pour l’obtention d’un permis. Les autres écoles n’ont pas commenté ce que nous avons découvert lorsqu'elles ont été contactées par La facture.
Un nouveau projet de loi?
Et ce n’est pas que Québec qui examine ces écoles de plus près. Des organismes du secteur de la santé ont lancé leurs propres enquêtes, car il existe une zone grise. Les écoles non reconnues offrent aussi des formations de secourisme et de santé et sécurité. Notre reportage avait démontré que, là encore, des écoles coupent les coins ronds.
Cœur et AVC, qui certifie des instructeurs de Secourisme/RCR, dit avoir suspendu la certification d’instructeur du propriétaire de Formation Bonsecours, qui avait été filmé par nos caméras cachées en train de donner une version inadéquate et extrêmement écourtée de la formation officielle.
Cœur et AVC indique d’ailleurs qu’elle enquête actuellement sur plusieurs instructeurs qui donnent des cours dans des centres de formation privés à Montréal
. La formation de secourisme est obligatoire pour bien des préposés, y compris dans le réseau privé.
De son côté, l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur affaires sociales (ASSTSAS), a radié des instructeurs affiliés à certaines de ces écoles et même envoyé une mise en demeure au Centre Belvédère, le sommant de cesser de fabriquer de fausses attestations du Principe de déplacement sécuritaire d’une personne (PDSP).
L’ASSTSAS est la seule institution autorisée à émettre des cartes de PDSP, une formation obligatoire pour les préposés en RPA qui permet de minimiser les risques de blessures lors du déplacement de patients.
Pendant ce temps, le ministère de l’Éducation travaille actuellement avec d’autres partenaires gouvernementaux afin de s’assurer que les formations de préposés aux bénéficiaires respectent les balises légales et réglementaires
, écrit un porte-parole par courriel.
Ces discussions visent notamment à valider la pertinence de modifier le cadre légal et les sanctions applicables aux contrevenants
, ajoute-t-il.
Il était temps, croit Sylvie Nelson du SQEES-FTQ. J’espère que le gouvernement ne prendra pas des années pour étudier cela. Pourquoi on laisse [les écoles] s'enrichir sur le dos de demandeurs d’asile?
Et c’est sans compter les sérieux impacts qu’une formation inadéquate peut avoir sur la qualité des soins aux aînés et sur la sécurité du préposé lui-même, rappelle Mme Nelson, qui blâme aussi au passage les employeurs qui continuent d’embaucher des diplômés de ces écoles.
Ce devrait être un dossier prioritaire pour la société québécoise. Nos aînés ont payé pendant la pandémie. Faisons attention à nos gens vulnérables et à nos travailleuses, parce que ce sont majoritairement des femmes!
Selon Me Boudissa, la pénurie de main-d'œuvre et le statut précaire des étudiants expliquent pourquoi ces écoles ont pu opérer sans trop de conséquences jusqu’ici au Québec.
Ce sont des gens qui ont souvent peur pour leur vie à la base, notamment les demandeurs d’asile. Ce ne sont pas des gens qui vont grimper dans les rideaux, dénoncer ou crier sur tous les toits [qu’ils ont été lésés]
, dit-il.
D’autant plus que les étudiants qui s’estiment floués connaissent peu ou pas les mécanismes disponibles, comme l’Office de la protection du consommateur ou les petites créances, souligne Me Boudissa. Ils essayent juste de trouver leurs repères et de subvenir à leurs besoins.
Dans ce contexte, dit-il, ce serait difficile pour eux de recouvrer leur argent
.
Des diplômés sans emploi
Du côté des étudiants qui ont été récemment diplômés, nombre d’entre eux peinent à trouver un emploi, car de plus en plus d’établissements pour aînés du Québec n’acceptent plus les diplômes non reconnus.
Gloria nous a dit essuyer des refus systématiques
, tant au privé qu’au public, depuis qu’elle a obtenu un diplôme de préposé décerné par le Collège St-Michel, à Montréal. On se fait dire non partout.
Les propriétaires du Collège St-Michel s’expliquent, par le biais de leur avocat, en disant que c'est plutôt le Centre de formation St-Michel, une école au nom similaire enregistrée aux mêmes adresses et dirigée par les mêmes personnes, qui offrait la formation de préposé.
Sur le web, c’est effectivement le Centre de formation St-Michel qui a fait la promotion de ces formations. L’école a même fait miroiter un emploi garanti
dans des dizaines de publications sur Facebook au fil des ans.
Mais c’est le logo du Collège St-Michel et non celui du Centre de formation St-Michel qui figure en tête des diplômes dont La facture a obtenu copies. Quoi qu’il en soit, le Centre de formation St-Michel dit avoir cessé d’offrir des formations de préposés après l’avertissement de Québec.
L’école dit avoir fait des erreurs de bonne foi
.
Ni le Collège St-Michel, qui offre d’autres programmes comme un DEP en informatique, ni le Centre de formation St-Michel n’ont d’autorisation du ministère de l’Éducation pour former des préposés aux bénéficiaires.
Pourquoi ces écoles ont-elles le droit d’exister?
se demande Gloria.
Quand les gens arrivent au Québec, les gens n'ont pas d'informations. On tente de tirer des détails ici et là, mais on ne sait pas ce qui est vrai et ce qui est faux. Il y a beaucoup de gens qui souffrent par rapport à cela.