Un article écrit par Stéphanie Dupuis

Une année incendiaire pour les mèmes en 2023

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L'homme derrière le mème « Hide the pain Harold » était de passage à Montréal l'été dernier. Il s’est fait « dérouler le tapis rouge » par la mairesse Valérie Plante, qui l'a accueilli à bras ouverts et a même collaboré avec lui sur les réseaux sociaux, selon Jean-Michel Berthiaume, expert en culture populaire.Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
L'homme derrière le mème « Hide the pain Harold » était de passage à Montréal l'été dernier. Il s’est fait « dérouler le tapis rouge » par la mairesse Valérie Plante, qui l'a accueilli à bras ouverts et a même collaboré avec lui sur les réseaux sociaux, selon Jean-Michel Berthiaume, expert en culture populaire.

Des feux de forêt à Bernard Drainville, en passant par le blocage de nouvelles de Meta, l’actualité a bien occupé les artistes du mème en 2023. Le docteur en sémiologie Jean-Michel Berthiaume a analysé les tendances de l’année de cette culture web au pays, qui a parfois même transcendé les frontières.

Mème

Concept (texte, image, vidéo) massivement repris, décliné et détourné sur Internet de manière souvent parodique, qui se répand très vite, créant ainsi le buzz.

– Dictionnaire Larousse

Les feux de forêt

Les incendies qui ont défiguré des forêts au Canada avaient tout pour être un terreau fertile pour la mèmosphère. C’était une composante visuelle parfaite, tu n'avais qu’à mettre un filtre orange sur une image et ça fonctionnait [pour représenter le smog], détaille Jean-Michel Berthiaume.

Cela a donné lieu à des composantes d’images intéressantes, qui touchent notamment à la nostalgie, avec par exemple l’utilisation du vaisseau spatial Romano Fafard volant au-dessus du mont Royal, à Montréal. Il s’agit d’une référence à la série culte de la télévision jeunesse Dans une galaxie près de chez vous, dont l’équipage avait la mission de trouver une planète habitable où déménager 6 milliards de tatas, puisque la Terre se mourait.

D’après Jean-Michel Berthiaume, qui écrit un livre sur les mèmes québécois, il s’agit du meilleur mème de 2023 portant sur un événement d’actualité.

Autre montage : une image du film Blade Runner 2049, du cinéaste Denis Villeneuve, dont la signature visuelle rappelle le filtre orangé du smog, ayant pour paysage de fond le Stade olympique de Montréal.

Les mèmes de feux de forêt ont aussi connu un succès qui a traversé la frontière américaine, les États-Unis ayant été enfumés malgré eux. Ça a été le plus grand succès viral international. Même New York a fait des mèmes sur les feux canadiens, souligne le spécialiste.

Barbie

Difficile de parler des mèmes de 2023 sans mentionner le succès phénoménal du film Barbie. La poupée de Mattel a eu droit à un traitement royal en matière de campagne marketing, avec entre autres le déploiement d’un site web générateur d’égoportraits (Barbie Selfie Generator), qui permettait à tout le monde d'apposer sa photo à l'univers rose du film.

Le mème a été si populaire que Québec solidaire a pris la balle au bond et a appliqué le filtre à une image de son ancienne co-porte-parole Manon Massé. En apparence, on ne fait pas beaucoup de liens entre Barbie et Manon Massé. [...] Mais de faire ce rapprochement entre ces icônes du féminisme, j’ai trouvé ça cohérent avec la façon dont on a parlé du film, analyse M. Berthiaume.

Le phénomène web « Barbenheimer », un mot inventé dans la foulée du doublé cinématographique composé de Barbie et Oppenheimer, sortis à la même date à l’été 2023, n’a pas laissé sa place en ligne, avec des montages jumelant les deux personnages. Toutefois, sa présence en ligne a été nettement inférieure à celle de la poupée, d’après le spécialiste.

Nouvelle ère du mème signée l'IA

Concevoir des mèmes est une forme d’art, et comme les artistes de nombreux métiers créatifs, ceux et celles de cette culture web ont vécu la démocratisation des outils d’intelligence artificielle (IA) générative.

La fausse humoriste Sonia Bélanger, générée par l’IA, qui annonçait sa présence à des soirées d’humour sans femmes à l’horaire pour faire un pied de nez aux activistes de la page Pas de filles sur le pacing, a aidé à partir le bal, selon le docteur en sémiologie.

Sonia Bélanger est devenue la solution à toutes les pénuries, surtout celles autour du manque de représentation des femmes.

Jean-Michel Berthiaume, spécialiste en culture populaire

L'IA a aussi été l’occasion de revoir certains des grands classiques du folklore québécois façon Pixar, note-t-il. Du film Mommy, de Xavier Dolan, au mème de la dinde noire, le public a demandé à Maxime Larrivée-Roy, de la page L’Actualité en mèmes, de générer toutes sortes d’images contenant des références à la culture web locale. Il a même réimaginé son image signature « Mersi Kémion », couronnée mème de l’année par l’expert en 2022.

Lui, il écrivait les commandes dans Midjourney, qui est un outil d’IA très public. Tout le monde aurait pu le faire, mais les gens voulaient voir leur page préférée le faire pour eux, souligne-t-il. Il s’agit, selon lui, de l’un des premiers prompt artists populaires du Québec  – les prompts étant les commandes que l’on donne aux IA afin qu’elles génèrent des contenus.

Bernard « Burnout » Drainville

Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, est sans aucun doute la personnalité méméfiée s’étant la plus démarquée en 2023, d’après Jean-Michel Berthiaume. Les internautes l’ont même rebaptisé Burnout Drainville, voire même Burnout Drainé, pour son ton parfois exaspéré lorsque des journalistes lui posent des questions.

En tant qu’ex-chroniqueur et ex-animateur de radio, il est souvent appelé à donner ses commentaires, souligne l’expert : Il a été présent dans tellement de débats de société en 2023, et il offre toujours de nouvelles expressions faciales selon les événements. Il en a une pour toutes les occasions.

D’après le spécialiste de la culture populaire, il vole même la vedette au premier ministre François Legault, dont les différentes expressions sont loin d’être aussi diversifiées que celles de Drainville.

Une année difficile pour les artistes du mème

Même si le ton est souvent à la parodie pour les mèmes, l’année a été particulièrement lourde pour cette communauté.

Depuis le blocage des nouvelles sur les plateformes de Meta, en réaction à la Loi sur les nouvelles en ligne issue du projet C-18, les pages de mèmes se sont un peu fait reléguer le poids de l’information, explique Jean-Michel Berthiaume.

Maintenant que [les gens] ne peuvent plus déverser leur fiel dans les commentaires des articles, [ils] se tournent vers les sections commentaires des pages de mèmes, [qui redoublent d’efforts] en modération pour s’assurer que l’espace reste sécuritaire.

Jean-Michel Berthiaume, spécialiste en culture populaire

La page L’Actualité en mèmes a commencé à dénoncer la situation en nommant son jambon du jour – une image qui expose un commentaire jugé inadéquat. La page activiste Abattoir n’hésite pas à bloquer et à éjecter des personnes lorsque ça dérape, dit l’expert.

C’est peut-être aussi l’une des raisons qui a mené à la fermeture en 2023 de la page militante Organisation structurelle coconstruite de lo praticienxe réflexixe (OrgStruCo), dont les mèmes s’adressaient surtout aux gens du domaine de la santé, incarnant une sorte de QG de mobilisation pour eux.

Faire des mèmes avec des sujets comme les épuisements professionnels, les démissions, les incongruités et les paradoxes du système de santé, ça a permis de faire comprendre à tout le monde qu’ils n’étaient pas seuls à vivre ça, insiste Jean-Michel Berthiaume. Il salue au passage leur habileté à utiliser un ton léger pour représenter beaucoup de souffrance psychologique.

OrgStruCo était importante pour la communauté de mèmes du Québec. C’est une grosse page qui se tourne.

Jean-Michel Berthiaume, spécialiste en culture populaire

La grève dans le milieu de la santé a été déclenchée quelques semaines après la fermeture de la page, le 1er novembre, mais n’a pas empêché pour autant la propagation de mèmes [favorables], note le spécialiste en culture populaire.

Si 2023 a été une année particulièrement incendiaire pour les mèmes, avec beaucoup d’images politiques, dénonçant entre autres le contexte inflationniste, les tendances s’annoncent déjà plus légères pour 2024, avec le retour des faux événements Facebook.

Jean-Michel Berthiaume se réjouit de voir les foules commenter sur de faux événements, dont un party de Noël des caisses libre-service du Walmart, ou encore de voir les internautes se lancer à la recherche des p’tits bums décrits par Yolande Ouellet, dont la réaction à la caméra en sortant d’une salle du palais de justice de Trois-Rivières, en 2000, a marqué la toile au Québec.