Google, Microsoft, Discord, Twitch, Riot Games, Unity… Une annonce de licenciements n’attend pas l’autre dans le secteur technologique en ce début d’année. Mais un flou persiste concernant les raisons pour lesquelles les grandes entreprises agissent de la sorte. Et si l’intelligence artificielle (IA) y jouait un rôle?
C’est l’entreprise Unity, l’éditeur du moteur de jeux vidéo du même nom, qui a parti le bal en annonçant la suppression de 25 % de ses effectifs, le 9 janvier. La plateforme de vidéo en direct Twitch a emboîté le pas en annonçant le lendemain se défaire de 35 % de son personnel.
Puis, tout a déboulé : Discord a annoncé qu'elle réduisait de 17 % ses effectifs, Microsoft, de 8 % sa division de jeux vidéo et Google a, jusqu’à maintenant, mis à la porte plusieurs centaines de personnes, précisant que d’autres annonces étaient à prévoir.
À Montréal, le studio Behaviour Interactif (Dead by Daylight) a dû remercier près de 3 % de son personnel, suivant le pas d’Ubisoft Canada, qui avait supprimé en novembre 2023 environ 2 % de ses effectifs, surtout dans la métropole québécoise.
Le studio américain Riot Games, l’éditeur de l’ultrapopulaire jeu vidéo League of Legends, a pour sa part débranché 11 % de ses postes.
L’agrégateur Layoffs.fyi estimait le 26 janvier à 25 000 le nombre de personnes qui ont perdu leur emploi dans 89 entreprises technologiques depuis le début de l’année. Ce même site chiffre à 263 000 le nombre de postes supprimés dans 1187 firmes du secteur sur l’ensemble de l’année 2023, soit une moyenne de 22 000 postes par mois.
L’IA serait-elle en cause?
Dans la plupart de ces annonces de licenciements, les têtes dirigeantes mentionnent des restructurations
, des changements organisationnels
, un effort pour se recentrer sur les priorités
, un besoin de redimensionner
les équipes, ou même de les réinitialiser
.
Cette ambiguïté dans le discours est volontaire
, croit Jonathan Roberge, professeur titulaire à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS).
Ce qui est intéressant dans ces annonces, c’est l’absence totale de transparence. [...] On est dans le noir : personne ne sait ce qui se passe réellement et les entreprises, elles, ne veulent pas le dire.
Ce qui est certain, c’est que l’année 2023 a été marquée par un boom en intelligence artificielle, avec la démocratisation des outils d’IA générative comme ChatGPT, d’OpenAI. Cela a entraîné une course effrénée au développement de cette technologie chez les géants du web, entre autres.
Comme ces entreprises sont à l’avant-plan des transformations dans ce domaine, elles en deviennent les cobayes : Elles seront les premières à automatiser leur main-d’œuvre, avant même d’être capables de faire automatiser celle de l’extérieur
, affirme Jonathan Roberge.
Si ces annonces sont des restructurations
vers la recherche et le développement en IA, il n’est pas clair si ce sont les ressources humaines qui sont déplacées dans ce département, ou si c’est la capacité d'automatisation des emplois à l’intérieur des équipes de ces plateformes qui est à l’avant-plan, d’après le professeur titulaire à l’INRS.
Il cite en exemple l’industrie du jeu vidéo, qui cumule les annonces de pertes d’emploi depuis deux ans : Les programmeurs, les acteurs et les agents créatifs savent très bien qu’ils sont parfaitement remplaçables par les technologies en train de se développer
.
Et tout indique qu’à l’heure actuelle, les entreprises technologiques ont une incapacité de prévisibilité sur l’IA, ce qui en fait, en quelque sorte, des victimes d’elles-mêmes
, analyse le chercheur.
Des soubresauts postpandémiques
Si l’IA peut avoir son rôle à jouer dans cette vague de licenciements, il ne faut tout de même pas laisser de côté le contexte postpandémique qui sévit encore dans l'économie.
Les industries technologiques ont connu une période de forte croissance pendant la pandémie de COVID-19. Les circonstances ont encouragé un attrait soudainement renouvelé et massivement important pour l’informatique, en raison de la hausse marquée du télétravail, mais aussi des jeux vidéo, les gens étant en quête de divertissement pendant les confinements.
Google avait autour de 120 000 effectifs avant la pandémie, puis est monté à 180 000 pendant la pandémie. À partir de là, c’est certain qu’il va y avoir des correctifs.
Janvier 2024 se vit un peu comme un jour de la marmotte pour les membres du personnel des entreprises technologiques, qui, à la fin de 2022 et au début de 2023, ont été des dizaines de milliers à se faire montrer la porte dans ce contexte.
Le géant Microsoft avait annoncé à la mi-janvier l'abolition de 10 000 emplois en raison de la conjoncture économique. Le même jour, Amazon avait supprimé 18 000 postes dans le monde entier. Deux mois plus tôt, c’était Meta, la maison mère de Facebook, Instagram et WhatsApp, qui annonçait se défaire de 11 000 personnes tandis que Mark Zuckerberg, son PDG, qualifiait 2023 d’année de l’efficacité
.
Jonathan Roberge souligne que le contexte postpandémique s’accompagne aussi d’une nouvelle pression de performance à la bourse : Souvent, pour augmenter sa cote en bourse, on va faire des annonces de licenciements. C’est un vieux truc qui plaît aux gens, car ça donne l’impression qu'il y aura des réductions de coûts d’opération, et que les dépenses seront prises plus au sérieux
.
D’après le professeur à l'INRS, il va falloir des mois, voire des années avant de comprendre ce qui est en train de se passer dans les industries technologiques.
Lorsqu’on aura compris [ce qui se trame dans l’industrie], il sera probablement déjà trop tard.
Les grands perdants seront une pléthore de travailleurs et de travailleuses, des principes moraux et éthiques
, dit M. Roberge.